LÉVINAS EMMANUEL (1905-1995)
Toute sa vie durant, le philosophe Emmanuel Lévinas a poursuivi un seul et même combat : montrer pour quelles raisons l'éthique, qui trouve sa source dans l'expérience primordiale de la responsabilité pour autrui, doit être reconnue comme la vraie « philosophie première » digne de ce nom. Disciple de Husserl et de Heidegger, il est le pionnier de la phénoménologie française. C'est la découverte précoce de l'horreur nazie qui l'amène à remettre en cause un certain nombre d'évidences sous-jacentes à la philosophie occidentale, davantage attirée par le « Même » et la « Totalité » que par l'« Autre » et l'« Infini ». De cette manière une phénoménologie centrée sur l'épiphanie du visage d'autrui vient s'allier au désirmétaphysique du tout autre.
Emmanuel Lévinas est né à Kaunas (Lituanie) le 12 janvier 1905. La bibliothèque de ses parents lui permet de s'initier très tôt à la grande littérature mondiale, en particulier à Shakespeare, Dostoïevski et Pouchkine. En 1923, il se rend à Strasbourg, pour y étudier la philosophie. Là, il se lie d'amitié à Maurice Blanchot. L'année universitaire 1928-1929, passée à Fribourg-en-Brisgau, jouera un rôle décisif dans toute son évolution ultérieure. Il y assiste au dernier séminaire de Husserl, tout en suivant l'enseignement de Heidegger. Il fait partie de la délégation des étudiants français qui participent au célèbre colloque de Davos, où s'affronteront Cassirer et Heidegger.
Par sa thèse de doctorat, La Théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl, soutenue en 1930, l'année où il est naturalisé français, tout comme par sa traduction des Méditations cartésiennes, Lévinas amorce la réception française de la phénoménologie husserlienne, montrant la voie à Sartre et à Merleau-Ponty.
Dès 1934, il propose dans Quelques Réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme une réflexion philosophique sur les sentiments primaires sous-jacents à la « phraséologie misérable » du nazisme. L'idéologie national-socialiste lui apparaît comme l'union perverse des aspirations communautaires et universalistes. La conquête de nouveaux espaces vitaux prônée par l'hitlérisme constitue à ses yeux une menace mortelle pour l'humanité même de l'homme. La question cruciale est de savoir si la philosophie occidentale s'est suffisamment prémunie contre ce danger du « mal élémental », qui la reconduirait à une simple persistance dans l'être.
« Sortir de l'être par une nouvelle voie »
En 1935, Lévinas publie son premier essai personnel sous un titre éloquent : De l'évasion. Il y explicite la tâche philosophique que lui inspire le pressentiment de l'horreur nazie : « Sortir de l'être par une nouvelle voie, au risque de renverser certaines notions qui, au sens commun et à la sagesse des nations, semblent les plus évidentes. » Tout son chemin de pensée ultérieur ne fera qu'approfondir les multiples valences de ce thème.
Mobilisé en 1940, Lévinas passe la guerre dans un camp de prisonniers pour officiers français. Il y rédige De l'existence à l'existant, publié en 1947, en même temps que Le Temps et l'Autre, un ensemble de conférences données au Collège philosophique dirigé par Jean Wahl. Là où Heidegger cherche à comprendre la « différence ontologique » qui permet de passer des étants à l'être, Lévinas revient de l'existence aux existants singuliers. Ces textes, qui approfondissent l'intuition directrice de sa pensée, manifestent déjà un style de pensée original, toujours plus intensément soucieux d'accorder le « dit » (les contenus exprimés dans le discours) à un « dire pré-originel » (le rapport à autrui qui sous-tend le discours) et qui aboutira à l'emphase comme [...]
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Écrit par
- Jean GREISCH : docteur en philosophie, professeur émérite de la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris, titulaire de la chaire "Romano Guardini" à l'université Humboldt de Berlin (2009-2012)
Classification
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