EMPÉDOCLE (env. 490-env. 430 av. J.-C.)
Empédocle, dans la conscience moderne où il continue à vivre, représente l'homme antique dans sa force prométhéenne, l'initié de la nature et des sciences secrètes qui voulut dépasser la condition humaine et se précipita dans le feu divin de l'Etna, abandonnant à la terre, sur les bords du cratère, la dépouille de ses sandales. Ces apparitions, qui surgissent dans la figure de l'Antéchrist et, bien plus tard, dans celle de l'homme souverain de Hölderlin et de Nietzsche, appartiennent toutes au domaine qu'institue l'une de ses deux œuvres, celle que précisément il avait conçu comme un programme, les Catharmes (les Purifications). De cette épopée il reste moins de fragments encore que de l'œuvre ésotérique sur la nature des choses, bien qu'elle fût plus étendue peut-être (cinq mille vers sans doute, contre deux mille pour l'autre ?). Elle retraçait l'histoire mythique de la destinée humaine, la chute des démons, l'incarnation et les migrations d'un principe immortel, pour aider les hommes à vivre en accord avec les dieux. Beaucoup de ces thèmes (dont la métempsycose et les prescriptions de la vie ascétique) ont été ramenés dès l'Antiquité au mouvement spirituel et social des sectes pythagoriciennes. Empédocle est souvent le plus ancien témoin de ces croyances, si bien que l'on peut dire qu'il les a nourries plus qu'elles ne l'ont formé. Pour connaître sa pensée, cependant, c'est le poème de la nature qu'il faut interroger. Les Catharmes ont survécu, d'une vie obscure et tenace, dans les courants mystiques et les traditions populaires. Exploitées par la biographie antique (Diogène Laërce a laissé une Vie du philosophe), elles ont fourni les traits de sa personnalité mythique. La théorie physique, dont le récit des pérégrinations du démon offre la transposition, doit être étudiée pour elle-même, dans les fragments, dans la doxographie ancienne et dans l'interprétation, bien comprise, d'Aristote.
En 1990, l'attribution à Empédocle d'un papyrus conservé à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg a permis de préciser certains points de sa doctrine.
La dialectique de l'Un et du multiple
Le poème de la nature (Les Origines) inscrivait le devenir du monde dans un cycle destiné à rattacher le temps des choses à la forme sphérique, intemporelle et paradigmatique de l'Être. Héritier de la dialectique de Parménide, opposant l'Être un au vivant multiple, Empédocle maintient l'antinomie, mais l'explication ne se réfère pas principalement à l'exclusion mutuelle des termes. L'Un se disperse et se retrouve dans le monde, l'Être se perd et se ressaisit alternativement :
Double, ce que je vais dire : tantôt l'Un croît pour
seul être, De plusieurs qu'il était, tantôt il se sépare et devient
pluriel, d'un qu'il fut.
Empédocle figure par la sphère que remplissent entièrement, dans un univers limité et privé de vide, les corps des quatre éléments, Feu, Air, Terre, Eau, immortels et vivants, l'unité d'où surgit et que forme la diversité. La sphère, brisée dans les formes particulières, assure, par sa présence, la reconstitution constante des êtres et le prolongement de la vie. Oscillant de la division à l'unité, le monde survit grâce à l'Un où il tend infiniment à s'abolir. Alors que, chez Héraclite, les contraires coïncident dans l'identité, la puissance qu'Empédocle appelle Amour ne se confond jamais avec l'antagoniste qu'est la Haine, mais elle lui succède nécessairement. Dissociant les termes opposés, Empédocle peut privilégier l'un et projeter hors du monde une origine absolue des choses.
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Écrit par
- Jean BOLLACK : professeur émérite
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