ANGEVIN EMPIRE
Effondrement et survivances
À partir de là, malgré les efforts de Jean sans Terre, l'effondrement est rapide. Philippe Auguste se sert de la force, mais aussi du droit féodal pour prononcer la commise des fiefs tenus du roi de France : entre 1202 et 1206, toutes les possessions continentales, sauf l'Aquitaine, sont ainsi reprises, et le roi de France exige en 1205 des barons anglo-normands qu'ils choisissent entre leur royaume et leurs fiefs continentaux. La bataille de Bouvines du 27 juillet 1214 consacre la fin des efforts anglais, avec l'assistance de la Flandre et de l'Empire germanique, pour remettre en question les évolutions antérieures. Pire : le roi de France, prétendant épouser la cause du pape Innocent III, se propose d'envahir l'Angleterre et force pratiquement Jean à se jeter dans la vassalité du Saint-Siège pour échapper à un difficile destin. Ce qui n'empêche pas un débarquement français, l'entrée à Londres du prince Louis (le futur Louis VIII) à la tête de mille deux cents chevaliers, et sa revendication du trône : la mort de Jean, le 19 octobre 1216, et la fidélité de grands vassaux et de l'Église à son fils Henri III écartent le risque paradoxal d'un empire anglo-français sous domination capétienne.
L'empire angevin, lui, est mort, sauf dans les esprits. Henri III, devenu maître réel du pouvoir à vingt-cinq ans, en 1232, est très sensible à l'influence d'un « parti français » à sa cour, sous la protection de la reine Aliénor de Provence, et il cherche vainement les moyens de reconquérir les territoires perdus. Il doit finalement souscrire en 1259 au traité de Paris, obtenant de Saint Louis la seule reconnaissance de ses possessions de Guyenne et des diocèses de Limoges, de Périgueux et de Cahors.
L'heure n'était manifestement pas aux grands ensembles artificiellement réunis, sans que même la suzeraineté féodale ni le lien d'une autorité monarchique unique viennent les cimenter. La valeur des souverains angevins a été moins en question que la démesure des moyens qu'il leur aurait fallu mettre en œuvre pour préserver leurs possessions. Surtout, en cherchant à obtenir ces moyens en Angleterre, ils ont précipité l'émergence d'oppositions puissantes : celle de l'Église, qu'incarne un temps Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry à partir de 1162, jusqu'à son assassinat en 1170 ; celle des grands vassaux, au nombre desquels des prélats et des abbés, révoltés aussi bien par l'exigence de services armés trop fréquents et trop lointains que par les compensations en argent qui leur sont demandées lorsqu'ils se dérobent. Dans une large mesure, la rébellion déclenchée par les comtes de Chester, de Leicester et de Norfolk en 1214 est née de cette protestation et elle conduit, le 15 juin 1215, à la signature de la Grande Charte, qui entend consacrer le droit des barons à consentir au préalable les aides sollicitées par le roi : ils espèrent bien ne pas se soumettre au service d'ost hors de l'Angleterre. Et ce refus est réitéré en 1242. Privé du soutien de sa féodalité, le roi pouvait certes recourir à des mercenaires, mais le cycle des dépenses à engager devenait alors infernal.
Le « rêve français » des rois d'Angleterre n'est pas mort, et on le verra renaître au temps de la guerre de Cent Ans. Le précédent de l'échec de l'empire angevin ne servit pas de leçon aux successeurs de Jean sans Terre et de Henri III qui commirent les mêmes erreurs et constatèrent qu'elles suscitaient les mêmes obstacles et aboutissaient aux mêmes échecs !
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Écrit par
- Roland MARX : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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