EMPIRE (PREMIER)
Le grand empire
Considérons l'Europe vers 1810. La domination napoléonienne s'étend non seulement à la France proprement dite, mais à la Belgique transformée en départements dès la Révolution, à la Hollande annexée en 1810, aux villes de la Hanse, Brême et Hambourg, à la rive gauche du Rhin, à l'Italie du Nord, à Rome et aux Provinces Illyriennes. Napoléon est médiateur de la Confédération helvétique et protecteur de la Confédération du Rhin. Il a pour vassaux le roi d'Espagne et le roi de Naples. En Suède va régner un maréchal d'Empire, Bernadotte, et le Danemark est un allié fidèle. Ainsi plus de la moitié de l'Europe est-elle alors placée sous l'autorité de l'empereur.
Au cœur de la politique napoléonienne, il ne faut voir ni l'insatiable ambition dénoncée par ses adversaires, ni l'esprit de famille d'où seraient sorties les royautés vassales confiées aux frères et aux sœurs, ni le mirage oriental, ni même l'idée romaine, mais le Blocus continental qui explique bien la formation du grand empire. Tous les pays vassaux, annexés ou alliés, ont dû se plier à ses exigences, et l'Europe napoléonienne apparaît avant tout comme une machine de guerre dirigée contre l'Angleterre. Devait-elle se désunir après l'effondrement de l'économie britannique ? En réalité, Napoléon, avant même la naissance du Roi de Rome, a très vite cessé de considérer son empire comme une création passagère destinée à unir un moment le continent contre « la perfide Albion ». Il a cherché à lui donner, à la manière de Rome, des bases solides. Partout fut introduit le Code civil. Des principes juridiques nouveaux (égalité sociale, liberté civile) se substituèrent à la vieille organisation féodale, mais avec des nuances.
En Italie du Nord comme en Belgique, la Révolution avait déjà aboli la féodalité. Elle disparut, le 2 août 1806, dans le royaume de Naples : les droits personnels, les banalités et les dîmes furent supprimés, mais les droits réels durent être rachetés. Le paysan étant trop pauvre pour se libérer, un large secteur du système féodal subsista dans l'Italie méridionale. Il en fut de même dans le grand-duché de Berg, où le servage fut aboli le 12 décembre 1806, mais non les droits réels déclarés rachetables. En Allemagne du Sud (à Bade et au Wurtemberg le servage avait disparu dès le xviiie siècle), le régime féodal résista victorieusement à la pénétration du droit français. Dans le grand-duché de Varsovie, la Constitution du 22 juillet 1807 avait aboli le servage, mais les droits seigneuriaux persistèrent. La féodalité n'a donc pas été entièrement détruite. Les institutions françaises furent introduites dans les pays vassaux ou soumis : préfectures établies en Espagne en 1809, justices de paix en Pologne, système fiscal d'inspiration française en Allemagne. Là encore, l'emprise ne fut pas toujours durable.
La route devint, comme dans l'Empire romain, le principal facteur d'unité. En 1805, Napoléon écrivait : « De tous les chemins ou routes, ceux qui tendent à réunir l'Italie à la France sont les plus politiques. » Le décret du 16 décembre 1811 établit le classement des quatorze routes de première classe qui rayonnent de Paris vers les parties les plus reculées de l'Empire : route no 2 (Paris-Bruxelles-Anvers-Amsterdam), route no 3 (Paris-Hambourg), route no 6 (Paris-Rome par le Simplon), route no 7 (Paris-Turin par le mont Cenis), route no 11 (Paris-Bayonne et l'Espagne).
Les grands travaux changèrent le visage des vieilles capitales ; l'œuvre du préfet Tournon, à Rome, fut considérable : assèchement des marais Pontins, pont sur la via Appia, aménagement du Tibre, progrès de l'hygiène publique.
Au sein de la Grande Armée s'opéraient également des brassages[...]
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Écrit par
- Jean TULARD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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