EMPIRISME
L'empirisme, chez les Grecs, était une forme de scepticisme rattachée à l'école de Pyrrhon. Il nous est connu par l'ouvrage de Sextus Empiricus (iie-iiie siècle) Hypotyposes pyrrhoniennes. Fondé sur une analyse des critères du jugement, il est une méthode « critique » qui entend s'opposer à la méthode « dogmatique » des aristotéliciens, des épicuriens, des stoïciens, ainsi qu'au scepticisme de la Nouvelle Académie (Carnéade), considéré par les pyrrhoniens comme un dogmatisme négatif. Ceux-ci se qualifient eux-mêmes de chercheurs (zététiques) ; le doute était pour eux une méthode de recherche consistant d'abord à comparer des phénomènes ou des pensées (noumènes) jusqu'à faire apparaître des « antithèses » en présence desquelles il est sage de suspendre son jugement. Toutefois, cette suspension du jugement (épochè) ne supprime pas la perception sensible, elle permet, au contraire, de l'utiliser pour explorer comment les phénomènes apparaissent et comment les pensées sont jugées. La tradition pyrrhonienne donna naissance, au ier siècle avant Jésus-Christ, à une école de médecine dite empirique qui mettait l'accent sur l'individualité (l'« idiosyncrasie ») du malade et qui divisait le champ des études cliniques en trois parties : la sémiologie, la thérapeutique et l'hygiène.
L'habitude de classer les doctrines philosophiques sous la double étiquette du rationalisme et de l'empirisme ne s'est généralisée qu'au xixe siècle. Le mot « empirisme » prit alors une signification nouvelle ; il servit à interpréter l'histoire de la philosophie à la lumière des oppositions établies par la dialectique kantienne entre la thèse dogmatique et l'antithèse empiriste (Critique de la raison pure, Dialectique transcendantale, chap. ii, 3e section). L'image que nous nous faisons aujourd'hui des empiristes anglais du xviiie siècle est en effet une illusion rétrospective. Au xviiie siècle, on parlait de cartésiens, de platoniciens, d'aristotéliciens, de sceptiques, d'épicuriens, de matérialistes... Habituellement, les empiristes ne figuraient pas au catalogue. On cherche en vain le mot « empirisme » dans l'œuvre de Locke, de Berkeley ou de Hume. Aucun d'eux ne s'est déclaré « empiriste ». Dans les Nouveaux Essais sur l'entendement humain, Leibniz présente ainsi la philosophie de Locke : « En gros, [l'illustre anglais] est assez dans le système de Gassendi, qui est dans le fond celui de Démocrite. Il est pour le vide et les atomes ; il croit que la matière pourrait penser, qu'il n'y a point d'idées innées, que notre esprit est tabula rasa, et que nous ne pensons pas toujours ; et il paraît d'humeur à approuver la plus grande partie des objections que M. Gassendi a faites à M. Descartes » (I, i). Les gassendistes et les épicuriens étaient partisans de la philosophie mécaniste ; Leibniz était trop bien informé pour les assimiler aux empiristes (ce mot n'avait pas encore reçu sa signification kantienne d'étiquetage épistémologique ou de figure éternelle de la dialectique). L'allusion à la tabula rasa d'Aristote (De anima, III, iv, 43 a) et au rejet par Locke des idées innées est une thèse de philosophie naturelle ; elle ne se retrouve pas chez tous les auteurs que nous appelons empiristes (elle est absente chez Hume, par exemple, et, de nos jours, chez Willard Van Orman Quine Roots of Reference, I, vi, p. 23). La distinction entre l'inné et l'acquis est elle-même une question empirique relevant d'une théorie de l'apprentissage. L'adjectif « empirique » a un sens relativement précis lorsqu'il s'applique à un type d'argument fondé sur des évidences sensibles et des critères d'observation communicables. En revanche,[...]
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Écrit par
- Edmond ORTIGUES : professeur émérite à l'université de Rennes
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