EMPIRISME
Croyance et connaissance
Dans l'introduction de Human Knowkledge (1948), Russell écrivait : « Toujours depuis Kant, et il serait plus juste de dire depuis Berkeley, a existé parmi les philosophes une tendance que je considère comme illusoire, la tendance à admettre que la description du monde est influencée outre mesure par des considérations dérivées de la nature de la connaissance humaine » (p. xi). Russell et Quine ont dénoncé à maintes reprises le sens vague du mot « connaissance ». Le verbe « connaître » est un verbe de performance indiquant un résultat acquis à des degrés divers ; on connaît plus ou moins, de même que l'on est plus ou moins chauve ou plus ou moins gros : « Je pense que, dans une perspective scientifique ou philosophique, le mieux que nous puissions faire, dit Quine, est d'abandonner la notion de connaissance comme une mauvaise affaire et de la remplacer par ses ingrédients distincts [...]. Ce n'est pas là du scepticisme. Les sceptiques acceptent le concept de connaissance et dénient ses applications. Ce que nous concluons plutôt, c'est que le terme ne satisfait pas aux standards scientifiques ou philosophiques de cohérence et de précision » (Quiddities, 1987, p. 109).
Il n'en est pas de même du mot « croyance ». Quelle que soit sa complexité psychologique, la croyance a du moins une propriété remarquable : c'est qu'elle peut être vraie ou fausse. L'opposition du vrai et du faux n'est plus une opposition graduelle (comme le mieux ou moins bien connu), mais une opposition contradictoire qui ne dépend pas de ce que nous savons mais de ce qui existe ou n'existe pas. C'est l'examen de nos croyances qui pose le problème général de la connaissance. La croyance a une double caractéristique : elle est une anticipation de l'action et elle s'exprime en phrases déclaratives qui pourront être vraies ou fausses. L'expérience ne peut nous instruire qu'à partir des questions que nous posons sur « ce à quoi on peut s'attendre ». L'habitude et la croyance nous poussent à attendre le retour de certaines régularités dans l'univers familier : « J'incline à penser que croire à une phrase est une réaction plus simple que comprendre sans croire ; je pense que la réaction primitive est de croire, et que la compréhension sans croyance enveloppe une inhibition de l'impulsion à croire » (Russell, Human Knowledge, II, v, p. 101). L'expérience s'acquiert par la régulation de nos activités. Telle est la première thèse de l'empirisme : « Étant empiriste, dit Quine, je continue à concevoir le schème conceptuel de la science comme un instrument destiné à prédire l'expérience future à partir de l'expérience passée » (From a Logical Point of View, 1953, p. 44). Ce point de vue instrumental ne suffit pas à l'objectif de la science, qui est de comprendre et d'expliquer, mais il introduit la possibilité d'examiner pas à pas nos attentes, nos anticipations.
On se fait volontiers une image plus passive de l'empirisme en invoquant pour cela une thèse de psychologie génétique suivant laquelle toutes nos « idées » viennent de la sensation. On a souvent interprété dans ce sens le premier livre du Traité de la nature humaine de Hume. En réalité, il reprend une série de notions héritées d'auteurs antérieurs ; la question de l'origine des idées n'occupe que la première section de l'ouvrage et cette priorité dans l'ordre d'exposition ne suffit pas à juger de ce qui est premier dans l'ordre systématique. La troisième section, qui traite de « connaissance et probabilité », est plus fondamentale non seulement dans la philosophie de Hume (où elle rejoint sa théorie de la causalité), mais aussi dans la tradition naturaliste qui explique les tendances empiristes de la philosophie anglaise.[...]
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Écrit par
- Edmond ORTIGUES : professeur émérite à l'université de Rennes
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