ENCADREMENT DES ŒUVRES, histoire de l'art occidental
Ce sont les musées, en particulier en Grande-Bretagne, qui ont développé l'intérêt des historiens de l'art pour l'encadrement des œuvres. Les « bordures », comme on les appelait aux xviie et xviiie siècles, qui accompagnent la peinture, en disent beaucoup sur la valeur accordée à celle-ci, sur l'usage culturel qui lui était réservé – plus que le socle de la sculpture dont l'histoire, plus simple, s'écrit en parallèle. Dans la langue parlée, on dit un « cadre » pour un tableau. Cette intérêt pour le cadre, a priori « en marge » de l’œuvre d’art, justifie chaque année une large part des budgets d'acquisition des grands musées mondiaux. Plus que l'histoire du goût, c'est l'histoire de la vision des œuvres d'art qui est ici en cause. Aujourd'hui, le visiteur habitué des expositions internationales peut jouer à distinguer, de manière parfois subtile, un cadre de musée d'un cadre de collection privée, un cadre de la National Gallery de Londres d'un cadre de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, ou encore un cadre ancien d'un cadre d'origine. En France, certains cadres sont des monuments historiques classés (par exemple le cadre du portrait de Louis XV attribué à Carle Van Loo dans la salle de comédie du château de Parentignat, classé en 1972). L'art du xxe siècle enfin, de manière très significative, est celui qui a connu les plus grandes vicissitudes muséographiques. Pour l'historien de l'art, les cadres constituent des documents essentiels trop longtemps négligés.
Origines et significations premières de l'encadrement des œuvres d'art
En 1435, Leon Battista Alberti définit, dans le traité Della Pittura, la peinture comme une fenêtre dont il est nécessaire de tracer d'abord le cadre. La bordure fonctionne dès l'origine, dans cette première théorisation du genre pictural, comme un signal qui indique au spectateur qu'il se trouve non pas face au réel, mais devant une œuvre née de la mimésis. L'invention du cadre procède avec logique de la définition même de l'illusionnisme en peinture. Le trompe-l'œil quant à lui, pour que l'illusion soit parfaite, se passe traditionnellement de cadre. C'est le cas, par exemple, du trompe-l'œil d'Antoine Fort-Bras (musée Calvet, Avignon), qui représente un chevalet de peintre et qui faisait l'étonnement du président de Brosses au xviiie siècle. Les figures chantournées, personnages peints disposés dans les appartements à l'époque classique, défient eux aussi l'encadrement. Les vignettes des livres romantiques effacent d'une autre manière les limites de l'image et se fondent dans la page de texte.
C'est en ce sens que Jean-Claude Lebensztejn, auteur, en 1987, d'un article pionnier dans le domaine de l'histoire des cadres, a pu parler d'une « articulation » entre l'œuvre et le monde extérieur. Articulation provisoire, interchangeable, redéfinie avec le temps. Le cadre isole l'œuvre, la protège, l'attribue (dans les musées, grâce à l'inscription du cartel), mais l'intègre aussi à l'ensemble d'une collection. Une œuvre conserve rarement son cadre d'origine et faire l'histoire de la manière dont elle a été encadrée s'avère toujours révélateur pour l'historien.
Dès l'Antiquité, certains portraits du Fayoum, par exemple, sont déjà encadrés par une petite baguette de bois. Sur les fresques de Pompéi et d'Herculanum, le rôle des bordures-fenêtres est évident et l'on ne sait plus parfois si le peintre représente, en trompe l'œil, un tableau suspendu au mur ou une fenêtre ouverte sur les jardins. La « tapisserie » de Bayeux, au xie siècle, s'accompagne d'une bordure brodée tantôt décorative et animalière, tantôt[...]
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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