ENCADREMENT DES ŒUVRES, histoire de l'art occidental
Cadres impressionnistes et contemporains
Manet, si l'on en croit les Souvenirs de son ami Antonin Proust (1913), aurait pensé que « sans le cadre, la peinture perd cent pour cent ». Le cadre est le signe de l'achèvement de l'œuvre. Pour Degas, « le cadre est le maquereau de la peinture ; il la met en valeur mais ne doit jamais briller à ses dépens ». Degas, refusant les cadres dorés trop goûtés par les collectionneurs de son temps, préconise les cadres peints en blanc. Il lance cette mode chez les jeunes peintres, qui adoptent des cadres bleu clairs ou vert d'eau. La révolution impressionniste s'exprime d'abord ainsi par le cadre. Cette prise de position anti-académique rien que par la couleur suffit à faire refuser une œuvre au Salon officiel. Degas choisit les encadrements de ses toiles – comme Whistler qui les repeint souvent – avec le plus grand soin et Ambroise Vollard raconte comment Degas ne supporte pas que les acheteurs de ses tableaux changent ses cadres pour les domestiquer dans un décor intérieur surchargé. Une réflexion nouvelle s'ouvre donc, avec Degas, sur l'encadrement des œuvres. Seurat notamment, peint les cadres. Du blanc, il passe au sombre et adopte une théorie élaborée de l'encadrement : le cadre doit être peint selon une harmonie complémentaire de celle du tableau. Le Cirque possède ainsi une bordure peinte tout autour de la toile et un cadre véritable.
En plein contraste avec ces positions, Renoir suggère, dans certains dessins, l'usage de lourds cadres du xviiie siècle, qui accompagnent souvent encore aujourd'hui ses œuvres. Bonnard de même, dans ses carnets de croquis pour les années 1894-1895, trace des projets d'encadrements à motifs floraux. Le cadre est désormais d'abord affaire de peintres. Daniel-Henry Kahnweiler récupère des cadres anciens pour photographier, pour ses archives, les toiles des cubistes qu'il vend sans cadres à des collectionneurs qui apprennent, dès les années 1920 à mettre des œuvres contemporaines dans des cadres anciens. Braque distingue les cadres « en profondeur » des « cadres en fuite, qui avancent la toile », ceux qu'il préfère. Picasso joue à enserrer d'une corde la Nature morte à la chaise cannée (1912, musée Picasso). On ne distingue plus alors ce « cadre », partie intégrante de l'œuvre. La position de Matisse est en ce domaine plus ambiguë : convaincu de l'utilité du cadre, il revient à la fenêtre d'Alberti et peint ses paysages dans des espaces très structurés par le premier plan. Il délimite lui-même un cadre peint géométrique.
En 1915, Malevitch expose sans cadre. Mondrian prône clairement son abandon. Désormais, l'art contemporain se passe d'inutiles parures et seul le musée d'art moderne de Fort Worth ose mettre une fine bordure dorée autour d'un tableau de Rothko (Light Cloud, Dark Cloud, 1957), artiste qui souvent peint les côtés du châssis, intégrant à la peinture ses limites pour suggérer que peut-être, elle n'en possède plus aucune. Qui encadrerait Jackson Pollock ?
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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