ENCYCLOPÉDIE DE DIDEROT (1751-1772)
Si, comme on l'a professé durant des siècles, la pensée est le miroir de l'être, et si le monde est sphérique, fini, alors, comment ne pas imaginer que le savoir total puisse être, lui aussi, fini et circulaire ? Tel est bien le premier modèle du savoir encyclopédique, que se propose encore un Bruno Latini et, même, un Pic de la Mirandole. Mais voici : les progrès de la science ouvrent un univers sans bornes et font douter que nos catégories grammaticales reflètent les catégories de l'être (si cela a un sens). La sphère du savoir éclate à l'infini ; l'encyclopédie n'est plus que le miroir de nos conquêtes sur un monde en soi inconnu ; elle devient le catalogue de nos acquisitions, que la seule commodité recommande de classer par ordre alphabétique. Et tel est bien le nouvel esprit encyclopédique dont le monument érigé par d' Alembert et Diderot inaugure les grandes réalisations.
L'entreprise
En 1745, à la suggestion d'un Anglais (John Mills) et d'un Allemand (Sellius) avec lesquels il se fâche, le libraire Le Breton annonce le projet de publier en français la Cyclopaedia de Chambers ; le 27 juin 1746, par-devant d'Alembert et Diderot, témoins, l'entreprise est confiée à l'abbé Gua de Malves, qui abandonne au bout de treize mois ; la main passe aux témoins, nommés codirecteurs, le 16 octobre 1747. Le projet s'élargit. Un Prospectus, de Diderot, le fait connaître en 1750. On prévoit huit volumes de textes et deux de planches. Déjà cinquante-cinq collaborateurs – parmi lesquels Buffon, Rousseau, le président de Brosses, Dumarsais, Daubenton, d' Holbach, Jaucourt (qui deviendra la cheville ouvrière) – ont promis leur concours : au total, ils seront plus de cent soixante.
Cependant, l'incarcération de Diderot à Vincennes pour sa Lettre sur les aveugles (1749), bientôt l'affaire de l'abbé de Prades accusé de défendre la religion naturelle (nov. 1751) alertent dangereusement l'attention des ennemis de l'esprit moderne contre cette entreprise des Lumières qui engage de plus en plus de capitaux et attire de plus en plus de souscripteurs : 1 000 à la parution du premier tome (avr. 1751), 2 000 en février 1752, 3 000 en septembre 1754, 4 200 en novembre 1757 ; et ces chiffres restent au-dessous des chiffres de vente. La résistance s'organise. Dès février 1752, après le tome II (janv.), un arrêt du Conseil du roi interdit l'ouvrage.
Néanmoins, la publication parvient à poursuivre son cours : tome III (cha-consécration) en novembre 1753, tome IV (conseil-diz) en octobre 1754, tome V (dj-esy) en novembre 1755, tome VI (et-fne) en mai 1756, tome VII (fin de f-gythine) en novembre 1757. Il est désormais évident que l'Encyclopédie dépassera les dix volumes prévus. Mais résistera-t-elle aux attaques ?
Le tome VII contenait, de d'Alembert, l'article « Genève », qui va consacrer la rupture avec Rousseau. Les autorités religieuses veillent. Les pamphlets alimentent la guerre, allumée par Palissot, contre les Cacouacs. Voltaire s'inquiète, propose d'abandonner et persuade son ami d'Alembert de renoncer à ce « maudit travail ». Diderot reste seul. Il refuse de décevoir les souscripteurs et de ruiner les libraires. L'attentat de Damiens (1757), le scandale provoqué par De l'esprit d'Helvétius (août 1758) ameutent toutes les forces conservatrices. Par deux arrêts, le 5 mars et le 21 juillet 1759, le Conseil d'État du roi révoque les lettres de privilège de l'Encyclopédie et décrète même le remboursement des souscripteurs (aucun ne le réclamera). L'œuvre doit donc s'élaborer dans l'ombre. Apeuré dans cette ombre, Le Breton censure les textes ; Diderot ne découvrira le désastre qu'en 1764. Enfin les tomes VIII-XVII sont prêts et livrés (d'abord sous le manteau) au[...]
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Écrit par
- Yvon BELAVAL : professeur émérite à l'université de Paris-I-Sorbonne
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