ENDOCRINOLOGIE
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Bien avant qu'on en connût le rôle, les anatomistes avaient remarqué l'existence de petites formations ayant l'apparence de glandes, mais dépourvues de canal excréteur. Elles présentaient une riche vascularisation, si bien qu'on leur donna d'abord le nom de glandes vasculaires sanguines ou closes.
Dans la seconde moitié du xixe et au début du xxe siècle, la méthode anatomoclinique permit aux médecins et aux chirurgiens d'établir peu à peu des relations entre les altérations – lésions destructives ou tumeurs – de ces glandes et certains états pathologiques, faisant pressentir leurs fonctions, encore inconnues.
Ces fonctions devaient se ranger au nombre des phénomènes de la sécrétion interne que décrivit C. Bernard en 1855 à propos de la production par le foie d'une substance nutritive, le glucose, qu'il rejette dans le sang, donc dans le « milieu intérieur ». Les substances que produisent les glandes vasculaires closes ont été désignées sous le nom d'hormones. Leur étude et celle des maladies qui peuvent résulter de l'insuffisance, de l'excès ou de la déviation des sécrétions hormonales constituent l'endocrinologie (de ἔνδον, à l'intérieur, et de κρίνω, je sécrète).
Le mot « hormone » (de ὁρμάω, je mets en mouvement, j'excite) a été créé en 1905 par Starling, à propos d'une substance, la sécrétine (produite par la muqueuse duodénale et excitatrice de la sécrétion pancréatique externe), qui n'est plus guère classée aujourd'hui parmi les hormones, en raison de son action purement régionale. Starling, il est vrai, devait donner plus tard (1914) une fort large définition des hormones. Il désignait ainsi « toute substance produite normalement dans les cellules de n'importe quelle partie du corps et transportée par le courant sanguin dans des régions éloignées, sur lesquelles elle agit pour le bien de l'organisme entier ». Définition trop imprécise, car elle conduisait à classer parmi les hormones des substances banales sans valeur spécifique, par exemple le glucose.
On réserve aujourd'hui le nom d'hormones à des substances de nature organique, élaborées par certaines glandes ou certains tissus spécialisés et déversées dans le milieu sanguin, avec l'unique effet d'exercer une action spécifique sur des parties éloignées du même organisme jouant le rôle d'« effecteurs ». Cette définition élimine les intermédiaires chimiques de l'activité nerveuse tels que l'acétylcholine, la sympathine ou l'histamine, et les substances inductrices de l'organisation embryonnaire, dont l'activité reste purement locale, s'exerçant par diffusion et non par l'intermédiaire de la circulation générale.
Encore convient-il de souligner quelques difficultés : certaines hormones, comme celles des gonades embryonnaires, peuvent aussi exercer une influence organisatrice locale ; certaines substances, la noradrénaline ou la sérotonine par exemple, se comportent à la fois en intermédiaires chimiques locaux d'activités nerveuses et en hormones déversées dans la circulation générale. En outre les tissus producteurs d'hormones présentent des structures variées qui ne sont pas toujours typiquement glandulaires. Il peut s'agir de formations plus ou moins diffuses, de groupes cellulaires épars au sein d'autres tissus non endocriniens, ou même de cellules nerveuses dotées d'une activité sécrétoire.
Enfin on a pu assimiler à des hormones certaines substances qui règlent la mue et la métamorphose de certains Invertébrés (cf. système endocrinien) ou même celles qui commandent la croissance et le développement de végétaux supérieurs (cf. auxines et phytohormones).
Il ne sera pas question dans le présent article des problèmes qui touchent à l'endocrinologie comparée.
Les débuts de l'endocrinologie
Les précurseurs
Au xviie siècle, l'anatomiste anglais Thomas Willis parlait d'un ferment qui, passant des glandes génitales dans le sang, tiendrait sous sa dépendance le développement du système pileux, la mue de la voix, les phénomènes menstruels. En 1775, dans son traité de L'Analyse médicale du sang, Théophile de Bordeu émettait l'opinion que chaque organe « sert de laboratoire à une humeur particulière qu'il renvoie dans le sang après lui avoir donné un caractère radical ». Il pensait que ces substances étaient utiles à l'organisme et nécessaires à son intégrité. Il évoquait plus particulièrement le rôle des testicules dont « la semence, repompée et renvoyée dans la masse des humeurs, donne un ton mâle et ferme à toutes les parties ». Dans le transport vers le sang des substances ainsi élaborées par les organes, Bordeu attribuait un rôle au système lymphatique.
En 1840, Gulliver supposait que les glandes surrénales pouvaient excréter un produit par leurs veines efférentes. À la même époque, en Allemagne, Henle (1843), étudiant le problème des « glandes vasculaires sanguines », dépourvues de canaux excréteurs, pensait aussi qu'elles déversaient dans le sang des substances élaborées dans leur parenchyme.
Mais il ne s'agissait encore là que de pressentiments dépourvus de toute base scientifique.
L'œuvre anatomoclinique
Avant même l'identification des hormones et leur étude expérimentale, l'application de la méthode anatomoclinique, instituée par Laënnec, devait permettre aux médecins ou chirurgiens de faire entrevoir le rôle des glandes à sécrétion interne, en confrontant leurs altérations, révélées par l'autopsie, avec les symptômes présentés par les malades. Ainsi furent tour à tour décrits : la maladie de Basedow (Parry, 1825 ; Graves, 1835 ; Basedow, 1840) ; la maladie bronzée d'Addison (1855) ; le myxœdème (Gull, 1873 ; Ord, 1877) ; l'idiotie myxœdémateuse (Bourneville, 1880) ; l'acromégalie (Pierre Marie, 1885) ; la tétanie parathyréoprive (Reverdin et Kocher, 1882 ; Gley et Moussu, 1891) ; l'ostéite fibrokystique de Recklinghausen (1891) ; le syndrome adiposogénital (Babinski, Frölich, 1901) ; l'infantilisme hypophysaire (Souques et Chauvet, 1911) ; le panhypopituitarisme (Simmonds, 1914) ; les syndromes surréno-génitaux (Apert, 1911 ; Gallais, 1912) ; la maladie de Cushing (Sicard et Reilly, 1913 ; Cushing, 1932). Deux syndromes seulement n'ont été individualisés cliniquement qu'après la découverte des hormones correspondantes : l'hypersurrénalisme médullaire (M. Labbé, 1922) et l'hyperaldostéronisme primaire (Conn, 1955).
Mais la nature des relations rattachant les troubles cliniques aux altérations des glandes endocrines parut longtemps fort obscure. Il fallut les travaux des expérimentateurs et des physiologistes pour que fût nettement dégagée la notion de syndromes liés à l'insuffisance ou à l'excès de telle ou telle sécrétion interne. Les médecins anciens imaginaient plutôt l'intervention de substances nocives élaborées par la glande ou non neutralisées par elle. Une telle conception était encore celle de Pierre Marie quand il décrivit l'acromégalie en 1885. Au début du xxe siècle, la maladie de Basedow était toujours considérée comme une « dysthyroïdie » plutôt que comme une hyperthyroïdie simple. En 1925, Gley continuait à parler, à ce propos, de « déviations trophiques », c'est-à-dire d'altérations glandulaires donnant naissance à des produits toxiques, notamment à des substances protéiques résultant de l'autolyse ou de la dégénérescence cellulaire.
Il est intéressant de noter, à ce propos, la reviviscence actuelle de certaines notions anciennes qui avaient pu paraître périmées. Ainsi la circulation lymphatique est envisagée de nouveau comme voie de transfert possible de certaines hormones. D'autre part, on connaît l'existence de syndromes endocriniens liés à la production, hors des glandes endocrines, de certaines substances pathologiques, comme le long acting thyroïd stimulator (L.A.T.S.), les anticorps antithyroïdiens ou antisurrénaliens, ou les substances hormono-semblables élaborées par certains cancers non endocriniens.
Premières démonstrations expérimentales
On connaissait, depuis la plus haute antiquité, les effets de la castration, communément pratiquée chez l'homme. Mais Berthold, le premier, en 1849, démontra expérimentalement l'action des testicules sur la composition du sang en pratiquant chez le coq des castrations et des transplantations de la glande. Avant même que Claude Bernard eût établi et formulé la notion de « sécrétion interne », Vulpian (1856) avait observé le passage dans les veines surrénales de la substance, colorée en vert par le perchlorure de fer, qu'il avait mise en évidence dans les capsules surrénales. « Ainsi, disait-il clairement, serait prouvée pour la première fois et d'une façon décisive l'hypothèse qui regarde les capsules surrénales comme des glandes dites sanguines, c'est-à-dire versant directement dans le sang leur produit de sécrétion. »
Mais c'est Brown-Séquard (1889) qui devait fonder en une doctrine cohérente la place des sécrétions internes en physiologie et en pathologie, leur attribuant notamment un rôle, à côté du système nerveux, dans l'harmonisation fonctionnelle des différentes parties de l'organisme. Bien que la valeur de ses expériences ait pu être mise en doute, parce que, faites sur lui-même, elles pouvaient comporter une part d'autosuggestion, ce physiologiste ouvrait en même temps les voies d'une méthode thérapeutique nouvelle : l' opothérapie, en utilisant avec succès, chez l'homme et chez la femme, des injections sous-cutanées d'extraits testiculaires et ovariens.
Peu auparavant, Reverdin et Kocher (1883) chez l'homme, Schiff (1884) chez l'animal, avaient montré l'identité des accidents de la thyroïdectomie avec le myxœdème décrit précédemment par Gull et par Ord, sans y voir encore, cependant, les conséquences de la suppression d'une fonction endocrinienne. Cette démonstration fut faite quelques années plus tard par Vassale (1890) et par Gley (1891), qui observèrent l'amélioration des accidents de la thyroïdectomie totale chez le chien à la suite d'injections d'extraits thyroïdiens, méthode appliquée aussitôt par Murray au traitement du myxœdème humain. Peu après, Gley (1891), Moussu (1893) montraient le rôle des parathyroïdes, en séparant du myxœdème postopératoire les accidents beaucoup plus précoces du type de la tétanie. À la même époque, Lépine, Hédon, Minkowski et d'autres s'efforçaient de rattacher à la suppression d'une fonction endocrinienne le diabète expérimental que von Mehring et Minkowski avaient obtenu par l'ablation du pancréas. Oliver et Schafer (1894) montraient les effets cardio-vasculaires de l'extrait surrénal ; Langlois (1897), Biedl (1898), ceux du sang veineux surrénal.
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Écrit par
- Jacques DECOURT : professeur honoraire de clinique endocrinologique à la faculté de médecine de Paris, membre de l'Académie nationale de médecine
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Voir aussi
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- GLEY ÉMILE (1857-1930)
- LANGLOIS JEAN-PAUL (1862-1923)
- LÉPINE RAPHAËL (1840-1919)
- WILLIS THOMAS (1621-1675)
- VULPIAN ALFRED (1826-1887)
- MOUSSU AUGUSTE LÉOPOLD (1864-1945)
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