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ENFANCE (Les connaissances) Approche historique de l'enfance

Méthodes et thèmes de recherche

L'histoire des mentalités

L'évolution d'ensemble a été dégagée par Philippe Ariès en 1960. L'histoire de l'enfance ne peut se séparer de l'histoire de la famille. Du Moyen Âge jusqu'au xviie siècle, dans le cadre de grandes maisonnées, où vivent des familles élargies, l'enfant n'a guère de spécificité : il est perçu comme un adulte en réduction et on se soucie peu de protéger son innocence ou sa personnalité. Dans le meilleur des cas, on l'aime pour ses fantaisies comme un petit animal : c'est le « mignotage », dont certaines pages du Journal d'Héroard ou des lettres de Mme de Sévigné nous donnent une idée ; on y voit les jeux et les facéties, souvent paillardes et impudiques, auxquels les adultes se livrent avec les petits enfants. Dans un tel contexte, la mort des plus jeunes est en général vécue avec fatalisme et détachement, du moins en apparence. À partir du xviiie siècle, dans la bourgeoisie ou la noblesse éclairée, la famille change de structure : elle devient plus intime, plus étroite ; on la qualifie de « nucléaire », parce qu'elle est réduite au couple parental et à ses enfants. C'est en son sein que se produit la « découverte de l'enfance » qui est une grande mutation des comportements et des sensibilités : chaque enfant y est désormais un être unique et choyé ; il a des relations tendres, continues, privilégiées avec sa mère et souvent avec son père. Son éducation se fait attentive, inquiète et personnalisée : il ne s'agit plus de redresser les mauvais penchants qui caractérisaient l'état d'enfance dans les siècles passés, mais de préserver ce qu'il peut y avoir en lui de spontané, d'innocent, d'unique. Ce nouveau courant qui s'inscrit dans l'optimisme de la culture des Lumières se manifeste par une abondante littérature administrative, morale, médicale et philosophique consacrée à l'enfance, qui culmine avec le succès de l'Émile de J.-J. Rousseau en 1762. Outre la famille, l'école, qui contribue à façonner l'enfant, change aussi : l'étude des institutions scolaires et de leurs règlements révèle, à partir du xviie siècle, la volonté des élites morales et intellectuelles de préserver l'innocence des enfants pour les éduquer selon les principes de la religion et de la morale. C'est ainsi que se structure peu à peu notre actuelle conception de l'enfance, séparée du monde des adultes par l'école et protégée par une famille plus restreinte et plus attentive.

On peut faire quelques critiques à la thèse défendue par Ariès : sa conception du « mignotage », sorte d'amour au rabais, est très discutable ; notre sentiment actuel de l'enfance n'est pas forcément une constante historique, à l'aune de laquelle nous pourrions apprécier les sentiments de nos lointains ancêtres, qui autrefois ont dû aimer leurs enfants de mille manières, souvent bien éloignées des nôtres. On peut aussi reprocher à Ariès de tout faire commencer à l'époque classique : dans la deuxième édition de son livre, il a tenu compte de cette objection et a reconnu que le Moyen Âge était une période capitale pour l'évolution des attitudes envers l'enfant. Depuis, les médiévistes ont publié d'abondantes et passionnantes études qui prouvent que la découverte de l'enfance doit remonter au moins au xiiie siècle (et peut-être même avant). Enfin, Ariès étudie surtout le petit enfant qui va à l'école et se préoccupe peu du nourrisson ; et pourtant celui-ci a une histoire tourmentée, avec de notables variations dans l'accueil qui lui est fait : mise en nourrice, abandon, allaitement au sein ou au biberon sont des phénomènes majeurs, dont l'amplitude a varié au cours des siècles et qui ont influé sur[...]

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