ENFANCE (Les connaissances) Enfant et psychanalyse
Ce serait une erreur de considérer la psychanalyse comme un corpus scientifique constitué une fois pour toutes, comme un système clos du savoir. Non seulement elle est un système ouvert, mais elle est constitutivement ce qui, dans l'ordre de la connaissance, doit être perpétuellement repensé, relu, réinterprété ; ce qui doit aussi porter les questions là où on ne les attend pas. C'est d'ailleurs Freud, parce qu'il eut lui-même à se délivrer du scientisme du xixe siècle et à se débarrasser d'une conceptualisation trop figée, qui doit nous aider à mieux comprendre ce que sont aujourd'hui les nouvelles perspectives de la psychanalyse. À cet égard, nous nous référons à l'œuvre de Jacques Lacan, qui a entrepris, puis suscité (au sein de l'École freudienne de Paris qu'il a fondée en 1964) cette relecture de Freud. Nombreux sont les psychanalystes d'enfants qui ont trouvé dans cette œuvre un appui théorique et une incitation à repenser les problèmes de leur pratique. Nous soulignons aussi l'apport de Maud Mannoni, qui a su, à travers une œuvre écrite importante, donner au problème une dimension dramatique (il y a un vécu de la maladie qui ne recoupe pas la vision objective que peuvent en avoir médecins et parents, et c'est dans cette histoire, qui à la fois le concerne et le dépasse, que l'enfant et son symptôme sont compris) et une dimension critique (ce sont les carences de tout un système, les préjugés de toute une société et de toute une époque qui sont mis en question). Ces deux dimensions sont déjà présentes dans l'œuvre de Freud, dont trop de pédagogues et de psychanalystes se sont hâtés de gommer les saillies, pressés qu'ils étaient de réduire les concepts freudiens à des rubriques de manuels et d'émousser le tranchant d'une œuvre porteuse de trop de révolutions. Il faut dépoussiérer et relire l'œuvre de Freud.
Deux voies possibles
Toute la psychanalyse s'est proposée dès le départ de mettre en évidence le rapport de l'adulte à son enfance ; et la théorie en psychanalyse est en un certain sens une théorie de la sexualité de l'enfant. Mais il convient d'éviter malentendus et déviations. S'il est vrai que la principale découverte freudienne, qui est l'œdipe, permet de déchiffrer le comportement de l'enfant et d'y lire la sexualité, cela ne signifie pas que celle-ci doive être comprise en termes positivistes et mécanistes. La théorie des stades (oral, anal, génital) développée par Karl Abraham sera fort peu efficace et féconde tant dans la pratique que dans les progrès théoriques de la psychanalyse. De même est abandonnée par Freud lui-même la théorie réaliste de la « scène primitive » (accouplement parental vu par l'enfant, ou conduite de séduction sexuelle de l'enfant par un adulte) : ce qui est reconnu comme agissant, c'est le fantasme plutôt que la réalité, c'est-à-dire la compréhension que le sujet a inconsciemment de lui-même et de son enfance, le sens qu'il donne à des événements réels et à une situation familiale.
Plus généralement, si la psychanalyse permet de situer l'enfant par rapport à la sexualité et au désir (le sien et celui d'autrui pour un tiers, ou celui d'autrui pour lui-même), elle se fourvoierait en se croyant (ou en espérant devenir) une science objectiviste et organiciste du développement de la sexualité infantile. Une telle science perdrait de vue le fait essentiel que Freud a mis en lumière et qui est le sens que le désir sexuel a pour l'enfant, dans son rapport à l'autre et à lui-même.
La psychanalyse a bien souvent dévié et trahi le plus authentique héritage freudien. Chosiste et organiciste, elle s'est voulue également pédagogique et adaptatrice ; l'enfant y devient le support des bonnes intentions[...]
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Écrit par
- Colette MISRAHI : psychanalyste
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