ENFANCE (Les connaissances) Enfant et psychanalyse
Les mythes de l'enfant dans notre société
De ces structures générales de l'enfant, on peut tirer un certain nombre de conséquences. Tout d'abord quant à la nature de l'enfant. En réalité, celui-ci n'est plus à considérer comme une « nature », comme un être organique qui se développerait ou non selon des stades bien délimités et autonomes. L'enfant est un sujet parlant, un sujet du désir qui cherche sa reconnaissance et son identité à partir de la parole de l'Autre.
Ce n'est que par une série d'erreurs ou de mythes (qui n'expriment que l'angoisse de la société adulte) que l'enfant est méconnu dans son être : en fait, ce qu'on dit ordinairement de l'enfant exprime plutôt la représentation que l'adulte se fait de cet enfant, c'est-à-dire le rôle qu'il lui attribue dans la société mais aussi par rapport à lui-même et à ses difficultés. L'enfant est le support ou le refuge ou le masque de la névrose des parents ou de leur angoisse. C'est cette même fuite qui explique tous les mythes de la pédagogie et de la pédiatrie : l'enfant sans problème, l'enfant bien adapté, les parents parfaits, l'école sans histoire, etc. On transforme l'enfant en mécanisme d'adaptation et, en outre, on le charge de cristalliser les angoisses ou de réaliser les idéaux des adultes.
À partir de là, on comprend que la société traite en fait l'enfant comme l'objet d'un savoir technocratique dont on attend rendement et efficacité : les tests de niveau d'une part, les classifications des troubles d'autre part, en prétendant se mettre au service de l'enfant, ignorent en fait celui-ci comme sujet du désir et comme être de la parole. Étiqueté (comme caractériel, débile léger, débile profond, psychotique, etc.), jaugé (par le Q.I.), classé (dans les différentes classes précisément : pour retardés, pour dyslexiques, pour dysorthographiques, etc.), l'enfant est, en réalité, comme le dit Maud Mannoni, abandonné à sa désespérance, s'il est malade, ou à la solitude de son effort pour vivre, s'il est bien portant. Car, en classant les enfants, la société les fige et les condamne, alors que, tous, ils sont affrontés d'abord au problème de la parole d'autrui et de la reconnaissance.
Il convient donc d'abord de libérer l'enfant de ses « psy- » (examens des psychologues scolaires, consultations multiples, psychothérapies entreprises prématurément avant que la demande implicite des parents n'ait été précisée, éclairée : pour quoi venir consulter pour un enfant ? conseils en tous genres des médecins, des écoles, des parents, etc.) pour le rendre à lui-même en lui rendant sa parole perdue ou en lui donnant une parole vraie. Il convient ensuite de libérer les adultes du mythe du « savoir », mais comment ? Ils croient trop souvent qu'en ayant un certain savoir scientifique ou médical on peut, par toutes les méthodes de normalisation – orthophoniques, orthographiques, orthopédagogiques, etc. –, construire un bon petit sujet bien adapté, ayant de l'efficacité, utile aux autres et à soi-même ! En réalité, ce savoir technocratique est un refoulement, une fuite.
Tous ces cloisonnements entre enfants et ces illusions sur les techniques scientifiques en pédagogie (cloisonnements et illusions qu'on retrouve par exemple dans les classes « spécialisées ») masquent en fait l'angoisse des parents et de la société, qui ne peuvent supporter ni assumer en eux une brèche, un manque à être. C'est contre cette nécessaire faille du sujet que toutes ces techniques tendent à garantir la société actuelle. On retrouve cette fuite dans la véritable ségrégation à laquelle on procède avec les « aliénés », qu'on interne et exclut faute de vouloir établir avec eux[...]
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Écrit par
- Colette MISRAHI : psychanalyste
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