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ENFANCE (Situation contemporaine) Évolution de la relation adultes-enfants

Articuler le champ des droits de l'enfant

Il y a eu au cours du xxe siècle trois textes internationaux énonçant des droits de l'enfant, en 1924 sous l'égide de la Société des Nations, en 1959 et en 1989 dans le cadre de l'Organisation des Nations unies. Très schématiquement, les deux premiers textes se bornaient à énoncer des droits correspondant à un certain nombre de protections qu'il apparaissait légitime d'accorder à l'enfant en raison de sa fragilité ou de sa vulnérabilité : protections physiques, contre la faim, la maladie, la détresse, l'exploitation, mais aussi protections morales, contre tout ce qui nuirait au développement spirituel de l'enfant et entraverait son éducation à la moralité. Ces droits ouvrant sur des protections de l'enfant correspondaient en fait aux devoirs ou aux obligations que les parents ou les adultes en général sont censés éprouver à l'égard des enfants. En ce sens, la proclamation de tels droits, en 1924 et en 1959, ne déstabilisait guère le dispositif traditionnel de la relation à l'enfance : sous ce rapport, il n'est pas négligeable de le noter, on n'observe pas de transformation notable entre les années 1920 et les années 1950, donc au fond jusqu'à une époque relativement récente.

Tout change en revanche dans la Convention de 1989, qui marque un bouleversement très fort dans la représentation de l'enfant dont on reconnaît les droits : bouleversement d'autant plus important, en principe, que ce texte a été ratifié par presque tous les pays du monde, à l'exception notable des États-Unis et de la Somalie. Le document de 1989, qui se signale d'emblée par une ampleur nouvelle (avec cinquante-quatre articles), s'ouvre par l'indication que chaque être humain, adulte ou l'enfant, peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. En conséquence, la Convention commence certes, elle aussi, par énoncer toute une liste de droits-protections, mais elle enchaîne immédiatement avec une extraordinaire série de droits qui correspondent cette fois à des libertés : liberté d'opinion, d'expression, de pensée, de conscience, de religion, d'association, de réunion pacifique, et même (ce qui peut faire sourire) droit au respect de la vie privée. Chacun conviendra que cette fois la relation à l'enfance, exprimée par la représentation que la Convention en donne, a effectivement basculé. Plus précisément, si dans le lent processus de libération des enfants (c'est-à-dire de constitution des enfants comme des êtres libres) qu'a accompli la modernité et qui s'est enclenché il y a plusieurs siècles, il convient de marquer un point décisif de basculement, c'est sans doute au-delà des années 1980 qu'il faut le situer : la coupure éducative (celle qui, en raison directe de la représentation du petit homme comme porteur de tels droits-libertés, va rendre si délicate la relation des parents et des éducateurs aux enfants) passe ainsi entre la génération qui a exprimé sa perception (encore très classique) de l'enfance dans un texte comme celui de 1959, et la génération qui reconnaît son rapport à l'enfance, même avec des doutes et des interrogations, dans un document comme celui de 1989.

Or, au moins en une première approche, il n'est guère difficile de comprendre pourquoi dans ce contexte nous ne pouvons plus disposer aisément de repères normatifs clairs pour dire jusqu'où va la liberté de l'enfant. Au moins tendanciellement, l'enfant de la Convention est en effet reconnu comme un semblable et donc comme porteur des mêmes droits-libertés que l'adulte. Dans ces conditions, comment ne deviendrait-il pas délicat de fixer des limites à l'expression de ses libertés, de façon à fonder une[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie morale et politique à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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