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ENFANCE (Situation contemporaine) Évolution de la relation adultes-enfants

Droits-protection et droits-libertés

Reste que les droits – qu'énumère utilement, pour prémunir contre tout retour d'un tel passé, la Convention des droits de l'enfant de 1989 – ne sont pas sans soulever de légitimes interrogations. Comment concilier en effet des droits apparemment contradictoires, qui conduisent tantôt à renforcer la protection des enfants (et donc l'autorité de celui qui a la charge de les protéger) et tantôt à procéder à leur libération vis-à-vis de plus en plus de contraintes ? Principale originalité du document de 1989, l'affirmation de droits-libertés semble entrer en conflit avec toute relation à l'enfant où l'exercice de l'autorité se trouvait justifié par la protection qu'on devait lui accorder. Face aux apories théoriques et pratiques susceptibles d'être engendrées par cette problématisation de l'autorité, sans doute faut-il donc à la fois insister fortement sur le fait que la Convention a eu raison de recenser ces libertés auxquelles l'enfant a droit pour être reconnu comme un être humain, mais en même temps comprendre et faire comprendre que, dans la logique même d'une telle représentation de l'enfance, ce sont les droits-protections qui viennent imposer une limite à la mise en œuvre des droits-libertés : explicitons cette suggestion qui, à bien des égards, pourrait, si nous parvenions à en creuser la teneur, fournir à la Convention le mode d'emploi qui lui fait cruellement défaut et l'expose à tant d'objections inutiles.

Un tel mode d'emploi pourrait consister à prendre acte du fait que, si nous devons respecter les libertés reconnues à l'enfant, c'est dans la mesure où ces libertés ne le mettent pas en péril et nous laissent la possibilité de lui assurer les protections auxquelles il a tout autant droit. Le rappel de nos obligations (de protéger les enfants) servirait de cran d'arrêt à une application délirante des droits-libertés. Ainsi gagnerait-on beaucoup en clarté, pour définir la nouvelle donne d'un exercice raisonné de l'autorité éducative, en apercevant et en creusant cette hypothèse selon laquelle chacune des deux dimensions de la Convention (les droits-libertés, les droits-protections) prévient contre une interprétation délirante de l'autre dimension.

Si en effet nous ne reconnaissions que les droits-protections, la relation éducative à l'enfance se trouverait exposée à des dérives aberrantes que notre sensibilité démocratique n'accepterait plus : au nom de la nécessité de garantir à l'enfant toutes les protections auxquelles il a droit, le risque demeurerait grand d'aboutir à un système ne lui accordant aucune autonomie, donc aucune sphère de liberté compatible avec la reconnaissance de sa dignité d'être humain. L'exercice de l'autorité parentale et éducative tendrait alors à se recomposer sans partage, avec, à l'horizon, une dérive de l'éducation en dressage dont nous avons de bonnes raisons, au moins depuis Kant, de penser qu'elle n'est pas acceptable.

Symétriquement, si nous résolvions de structurer toutes nos relations à l'enfance selon les exigences formelles comprises de chacun des droits-libertés proclamés par la Convention, comment pourrions-nous nous acquitter des obligations mêmes de l'éducation ? Certes nous ne saurions plus interdire aux petits hommes toute possibilité de faire l'expérience de la liberté à laquelle, précisément comme êtres humains, ils sont destinés, mais en contrepartie nous devons aussi protéger l'enfant qui n'a pas encore tout le discernement de l'adulte contre les périls auxquels il s'exposerait lui-même s'il exerçait effectivement toutes les libertés auxquelles, comme être humain, il a droit. De ce point de vue, le seul reproche qu'on pourrait adresser au texte de 1989 et à [...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie morale et politique à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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