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ENFANCE (Situation contemporaine) Évolution de la relation adultes-enfants

Esprit de contrat, éthique de sollicitude

À travers les difficultés soulevées par la mise en œuvre des droits aujourd'hui reconnus aux enfants, c'est en fait la dimension contractualiste du rapport démocratique à l'enfance qui, sinon trouve ses propres limites, du moins a du mal à les définir. Dès lors que nous identifions en effet l'enfant comme porteurs de droits, nous l'envisageons très vite (et aussi, dans son propre développement, de plus en plus tôt) comme le partenaire d'un quasi-contrat, où la reconnaissance de ses libertés vient équilibrer ce à quoi nous autorise l'exercice des protections que nous devons lui assurer. Cette pénétration de l'esprit de contrat dans le lien familial et, plus largement, dans le lien éducatif soulève toutefois deux ordres de difficultés. Ne revenons pas sur le premier, qui consiste à déterminer les domaines et, au sein de ces domaines, les points précis où il convient néanmoins de renoncer à la libre discussion qu'implique l'esprit de contrat pour faire réapparaître une autorité qui ne se négocie ou ne se discute plus : question complexe, mais à laquelle une réponse vient d'être suggérée par référence aux limitations réciproques que s'imposent les deux types de droits reconnus à l'enfance. Un autre ordre de difficultés, plus délicat encore à surmonter, réside dans les implications possibles d'un esprit de contrat qui, même une fois trouvée sa cohérence, envahirait toute la relation à l'enfant.

Dans l'optique du contrat, l'enfant tend en effet à ne plus apparaître que comme le partenaire d'une relation juridique. Je me reconnais comme devant quelque chose à un enfant parce que je l'identifie comme ayant des droits. Et réciproquement. Ainsi, dans les débats actuels sur les incivilités ou sur les difficultés de l'éducation, nous enfermons de plus en plus la discussion dans ce cadre en rappelant qu'il faut enseigner aux enfants qu'ils ont non seulement des droits, mais aussi des devoirs. Le plus souvent, on croit que ce rappel aux devoirs des enfants suffit à arracher la discussion à l'orbite du droit. Il n'en est pourtant rien. C'est même très exactement le propre de la relation juridique que de faire apparaître les devoirs qu'implique, pour quelqu'un, le fait d'avoir des droits : par exemple, dans la vie démocratique, la liberté de la presse implique, pour une publication procédant de la reconnaissance du droit concerné, le respect d'un certain nombre d'obligations ou de devoirs qui correspondent aux limites de ce droit. Le rappel que les droits reconnus aux enfants s'accompagnent de la conscience qu'ils ont, dans l'exercice de ces droits, un certain nombre de devoirs, est donc tout à fait nécessaire, et cette conscience doit leur être inculquée : sans doute arrive-t-il qu'elle ne le soit pas assez, ou qu'elle le soit mal. Mais avec une telle mise en évidence de la complémentarité, chez les enfants, des droits et de devoirs, c'est simplement à creuser la dimension juridique de la relation à l'enfance que l'on s'emploie. Or, quelle que soit l'utilité, incontestable, d'un tel apprentissage du droit, reste ouverte pour autant la question de savoir si la relation éducative aux enfants peut se réduire à ce paradigme juridique : à le faire, ne risque-t-elle pas en effet de perdre une part essentielle de sa spécificité et de sa richesse, voire certaines de ses conditions de possibilité ?

Au-delà de la nécessité de mieux articuler le champ des droits de l'enfant, il me semble tout aussi indispensable d'apercevoir que la juridicisation du rapport à l'enfance, qui constitue la nouvelle donne du problème de l'autorité, présenterait, à ne pas susciter davantage de réflexion, un danger d'autant plus redoutable qu'il se[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie morale et politique à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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