ENFANCE (Situation contemporaine) Le droit de l'enfant
Bilan mitigé de la promotion des droits de l'enfant
Nous avons mentionné plus haut les apports incontestables de la Convention de New York et les prolongements globalement positifs qui en ont résulté, même si certains spécialistes ont parfois tendance à définir l'intérêt supérieur de l'enfant à partir de leur seule discipline. Cette convention a laissé néanmoins subsister des ambiguïtés, se gardant par exemple de trancher entre une interprétation d'inspiration latine paternaliste, soucieuse avant tout de protection, et une interprétation anglo-saxonne qui prône la libération des mineurs assimilés à une minorité opprimée sans se préoccuper des conséquences indésirables pouvant en résulter pour eux.
Si, comme l'a justement souligné Hannah Arendt, on ne peut établir une règle générale qui déterminerait le moment où est franchie la ligne séparant l'enfance de l'âge adulte, il n'en reste pas moins que les principes qui valent dans la vie politique ne valent pas forcément dans le domaine de l'éducation et réciproquement. Il ne suffit pas d'associer les termes de droit et d'enfant pour modifier la réalité.
L'enfant demeure soumis à des déterminations psychophysiologiques qui en font un être fragile quel que soit son développement physique. Abaisser l'âge de la majorité, comme cela a été proposé, ne précipiterait en rien la maturité. Au demeurant, si l'éducation s'inspire du souci du bonheur de l'enfant et tient compte de ses particularités personnelles, elle ne le dispense nullement de respecter les principes du droit qui s'adressent à la part d'universalité qu'il porte en lui.
S'il faut donc continuer à se méfier de l'ancienne logique de domination et d'appropriation – elle se manifeste encore aujourd'hui sous forme de revendication par certains d'un « droit à l'enfant » –, il faut également refuser une conception « libérationniste » assimilant celui-ci au citoyen qu'il n'est pas encore, car cette dernière porte en germe la dénégation de son altérité et débouche sur l'éclatement de la notion d'enfance en deux projections opposées : l'enfant érigé en victime et l'enfant diabolisé comme délinquant.
L'évolution de ces dernières années tend de façon caricaturale à concrétiser ce danger : non seulement il n'est pas question de fixer un âge plancher pour la responsabilité pénale, comme l'ont pourtant déjà fait la plupart des pays voisins, mais il ne se passe guère de semaines sans que l'on entende proposer d'abaisser la majorité pénale, ou d'imposer aux juges le prononcé de peines plancher au-dessous desquelles il ne serait pas possible de descendre.
En regard des progrès évidents accomplis en matière de reconnaissance de la parole des enfants victimes, on voit enfler démesurément la panoplie répressive applicable aux délinquants. Ce mouvement correspond moins à des modifications substantielles du comportement des intéressés qu'à un changement de regard des adultes. De nos jours, la jeunesse n'est plus perçue comme une étape instable et fragile dans le déroulement de l'existence, mais comme une attitude du corps et de l'esprit indispensable à la compétition et à l'obtention de la longévité. Ce phénomène explique une régression dans la perception des spécificités préadolescente et adolescente, et un alignement progressif du statut de l'enfant délinquant sur celui des adultes comme en témoignent les débats consternants qui ont précédé l'adoption de la loi sur la récidive.
On ne doit pas sous-estimer les ravages causés dans le débat public par l'usage inconsidéré de la notion d'insécurité, dont l'apparition est pourtant datée (1983) et politiquement connotée comme une invention de l'extrême droite[...]
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Écrit par
- Alain BRUEL : magistrat honoraire
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