ENFANTS SOLDATS
Les logiques de passage au combat
Pauvreté et abandon social
C'est bien la pauvreté et la misère qui sont les moteurs premiers de l'enrôlement des enfants. S'engager, c'est avant tout recevoir une solde plus ou moins régulièrement. C'est également retrouver une communauté, presque une famille, qui semble assurer la sécurité aussi bien physique que psychologique. Les plus concernés sont les orphelins, mais aussi les enfants des rues. Aux xviie et xviiie siècles, les désordres de la guerre et l'absence d'état civil aidant, les recruteurs n'étaient pas très regardants quant à l'âge de ceux qui se présentaient et c'est l'apparence physique qui comptait. Ils attiraient leurs victimes en faisant miroiter le bel uniforme, la gloire des voyages et de l'aventure, la solde assurée et, peut-être, quelques jours de combats forcément héroïques.
Le manque d'hommes
Lorsqu'un conflit se prolonge, les hommes valides et en âge de combattre viennent à manquer. Il faut alors remplacer les soldats tués ou blessés par des jeunes gens de plus en plus éloignés de l'âge minimal requis pour combattre, en dépit de leur fragilité physique et morale, de leur inexpérience et de leur indiscipline. Ainsi, à Rome, durant la deuxième guerre punique, il fallut enrôler des jeunes gens encore vêtus de la toge prétexte (moins de dix-sept ans) après le désastre de Cannes, en 216 avant J.-C.
Après la campagne de Russie, la Grande Armée, exsangue, avait besoin de renouveler ses effectifs. En janvier 1813, ce sont cent cinquante mille jeunes de la classe 1814 qui sont recrutés par anticipation. Parmi les critères d'aptitude à servir, on vérifiait s'ils mesuraient plus d'1,48 mètre. Bien que l'âge minimal pour les volontaires fût fixé à dix-huit ans, de plus jeunes encore furent enrôlés volontairement ou contre leur gré, surtout lors d'une nouvelle levée de deux cent quatre-vingt mille conscrits en octobre 1813. Surnommés Marie-Louise d'après le nom de l'impératrice-régente signataire des sénatus-consultes de conscription, ces jeunes recrues, dépourvues de tout entraînement, prendront part de janvier à mars 1814 à une campagne harassante et désespérée pour tenter d'arrêter l'invasion de la France.
La création du Volkssturm par le régime nazi, en septembre 1944, s'inscrit dans des circonstances analogues. Cette milice populaire encadrée par le N.S.D.A.P., mal équipée et peu entraînée, rassemblait tous les individus de seize à soixante ans non encore mobilisés pour la « défense du sol de la patrie et la victoire finale ».
Patriotisme et engagement idéologique
L'exaltation nationale et citoyenne qui apparaît à la fin du xviiie siècle n'épargne pas les enfants. Certains enfants s'engagent ainsi dans les armées de la Révolution, pour la défense de la patrie en danger. À la suite de l'appel de volontaires de 1791-1792, puis de la levée en masse de 1793, de nombreux adolescents se présentent aux autorités. Mais le décret n'appelait sous les drapeaux que ceux qui étaient âgés de dix-huit à vingt-cinq ans. Il y eut de nombreuses contestations. La maréchaussée arrêta quelques jeunes agitateurs : à leur chapeau, ils avaient fixé un petit billet où était inscrit « Tout ou rien, vive la République ».
La figure républicaine de l'enfant révolté engagé dans la lutte culmine en France avec la Commune de Paris. Mais, dès les Trois Glorieuses de 1830, des barricades à Paris avaient été élevées et défendues par des gamins, « gavroches » immortalisés par Hugo et Delacroix. Au soir du 4 décembre 1851, derrière les barricades dressées en hâte la veille sur les boulevards parisiens pour combattre les armées de Louis-Napoléon Bonaparte, on découvre des dizaines d'enfants parmi les fusillés. C'est l'autonomie prise par le groupe[...]
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Écrit par
- Rosalie AZAR : chargée de programmes, Bureau de la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour les enfants et les conflits armés
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