ENFERS ET PARADIS
L'autre monde en Sibérie et en Asie centrale
Les peuples de l'Asie septentrionale conçoivent l'autre monde comme une image inversée de celui-ci. Tout s'y passe comme ici-bas, mais à rebours : quand il fait jour sur la terre, il fait nuit dans l'au-delà (c'est pourquoi les fêtes des morts ont lieu après le coucher du soleil : c'est alors qu'ils se réveillent et commencent leur journée). À l'été des vivants correspond l'hiver dans le pays des morts ; le gibier ou le poisson est-il rare sur la terre, c'est signe qu'il abonde dans l'autre monde. Les Beltires posent les rênes et la bouteille de vin dans la main gauche du mort, car celle-ci correspond à la main droite sur la terre. En enfer, les fleuves remontent vers leurs sources. Et tout ce qui est renversé sur la terre est en position normale chez les morts : c'est pour cette raison qu'on renverse les objets qu'on offre, sur la tombe, à l'usage du mort, à moins qu'on ne les casse, car ce qui est cassé ici-bas est intact dans l'autre monde et vice versa.
C'est grâce aux voyages extatiques des chamans qu'on connaît la topographie des enfers en Sibérie et en Asie centrale. Car c'est le chaman qui conduit l'âme du trépassé vers sa nouvelle demeure, et c'est toujours lui qui, en certains cas, descend aux enfers afin d'obtenir la bénédiction du Seigneur des morts. Le voyage extatique dans l'autre monde comporte d'innombrables difficultés. Il est toujours question d'obstacles qui semblent infranchissables : un grand fleuve barre la route du chaman, il doit traverser un pont qui ressemble à une lame de rasoir, des bêtes féroces le menacent, etc.
L'ethnologue russe Potanin a publié la description d'une descente extatique aux enfers, telle que la lui aurait racontée un chaman altaïque. Le chaman traversa les monts Altaï et le désert chinois jusqu'à l'entrée de l'autre monde, les « mâchoires de la Terre » ou le « trou de fumée de la Terre ». En s'y engageant, il arriva tout d'abord à un plateau et rencontra une mer que franchissait un pont de la largeur d'un cheveu ; il l'emprunta et aperçut au fond de la mer les os des innombrables chamans qui y étaient tombés, les pécheurs ne réussissant pas en effet à traverser le pont. Le chaman passa devant ce lieu de torture des pécheurs, et il eut le temps de voir un glouton entouré des meilleurs plats qu'il ne pouvait atteindre. Passé le pont, le chaman chevaucha de nouveau en direction de la demeure d'Erlik Khan. Il réussit à y pénétrer, malgré les chiens qui la gardaient et le portier qui, finalement, se laissa convaincre par des cadeaux et lui permit d'entrer dans la yourte d'Erlik Khan, le seigneur de l'enfer. À l'issue d'une entrevue mouvementée, le chaman obtint la bénédiction d'Erlik, qui lui promit la multiplication du bétail et des bonnes récoltes.
Des descriptions analogues ont été enregistrées non seulement en Asie centrale et en Sibérie, mais aussi en Océanie et parmi certaines tribus amérindiennes. L'intérêt de ces voyages extatiques des chamans est considérable : non seulement ils ont contribué à l'élaboration des mythologies de la mort et des géographies funéraires, mais les récits de telles aventures dans l'autre monde ont constitué la source première d'une certaine poésie épique en Asie centrale, au Tibet, en Grèce, et l'on en perçoit l'écho dans la Divine Comédie de Dante.
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Écrit par
- Olivier CLÉMENT : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut Saint-Serge de Paris
- Mircea ELIADE : professeur à l'université de Chicago
Classification
Médias
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