ENFERS ET PARADIS
Enfer et paradis orphiques
Il est probable que ce passage de L'Odyssée reflète des influences orphiques. Ce sont en effet les orphiques qui ont modifié la conception traditionnelle de l'autre monde. Selon leurs vues, on subit dans l'Hadès la peine des péchés qu'on n'a pas expiés sur la terre. En descendant aux enfers, l'âme sera châtiée ou récompensée suivant ses fautes ou ses mérites. « Les coupables sont condamnés à de longues souffrances. Plongés dans un bourbier, ils se verront infliger un supplice approprié à leur pollution morale, comme des pourceaux aiment à se vautrer dans la fange ; ou bien ils s'épuiseront en vains efforts pour remplir un tonneau percé ou pour porter de l'eau dans un crible, image, suivant Platon, des insensés qui s'abandonnent, insatiables, à des passions toujours inassouvies. En réalité, il s'agit peut-être de la punition de ceux qui, ne s'étant pas soumis aux ablutions cathartiques, doivent, dans l'Hadès, apporter constamment, mais en vain, l'eau du bain purificateur. » (F. Cumont, Lux perpetua.)
Désormais, il existe deux séjours distincts, celui des bons et celui des méchants, les champs Élysées et le Tartare (l'Hadès). Les champs Élysées, situés par Homère dans les îles Fortunées, furent transportés dans l'empire de Pluton. Quant au Tartare, les orphiques semblent le réserver à ceux que la gravité de leurs crimes, comme s'exprime Platon, a rendus incurables. Quand, par exemple, ils ont commis de nombreux et terribles sacrilèges, des meurtres volontaires, lâches et violents, ils sont précipités dans le Tartare et jamais plus n'en ressortent. Les non-initiés, c'est-à-dire tous ceux qui n'ont pas connu l'initiation orphique, vont souffrir dans un bourbier fangeux jusqu'à ce que, purifiés, ils renaissent à une autre existence terrestre.
Le paradis orphique, promis aux initiés, était une région bienheureuse du monde souterrain, prairies émaillées de fleurs où abondent les arbres chargés de fruits, où les âmes se reposent dans une douce lumière, participent aux danses et aux chants sacrés, et festoyent à des tables dressées sous les ombrages de beaux jardins.
Mais, puisque le chemin qui conduit vers l'autre monde est semé de périls, l'initié est averti de l'itinéraire qu'il doit suivre et des formules qu'il doit prononcer. Les inscriptions sur les lamelles d'or orphico-pythagoriciennes, trouvées dans les tombeaux des ive-iiie siècles, décrivent les deux chemins qui s'ouvrent devant l'âme. « Tu trouveras à gauche de la demeure de Pluton une source, à côté d'elle se dresse un blanc cyprès. Garde-toi bien d'approcher de cette source-là. Mais tu en trouveras une autre près du lac de la Mémoire, d'où s'échappe une eau fraîche, et devant elle sont deux gardiens. Dis-leur : « Je suis fils de la Terre et du Ciel étoilé, mais ma race est céleste et vous-mêmes le savez. Je suis altéré de soif et je me meurs. Vite, donnez-moi l'eau fraîche qui coule du lac de la Mémoire. » Et eux-mêmes te donneront à boire de la source divine et désormais tu régneras au milieu des autres héros. »
La « soif du mort » est un thème qu'on rencontre abondamment dans les croyances de l'Orient antique et du monde méditerranéen. Sur une tablette orphico-pythagoricienne, il est écrit : « Je brûle et me consume de soif... » Dans l'enfer, le riche implore Abraham pour qu'il envoie Lazare et, en trempant le bout de son doigt dans l'eau, lui rafraîchisse la langue, « parce que je suis torturé dans cette flamme » (Luc, xvi, 24). Et le christianisme exalte le locum refrigerii, le « lieu de verdure et de repos », promis aux fidèles. Mais dans le nord de l'Europe, où la souffrance humaine se traduit en termes de basse température[...]
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Écrit par
- Olivier CLÉMENT : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut Saint-Serge de Paris
- Mircea ELIADE : professeur à l'université de Chicago
Classification
Médias
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