Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ENGAGEMENT

La littérature engagée

La littérature engagée est un phénomène qui n'appartient pas exclusivement à notre temps. Mais la prise de conscience, à la fin du xixe siècle, de la spécificité de la « littérature », en opposition avec le langage utilitaire, va conduire le siècle suivant à des attitudes extrêmes. Écrivains et critiques oscillent entre une conception de l'œuvre comme fin en soi et un rêve d'efficacité, de prise directe sur le monde. L'œuvre devient, dans le second cas, une arme idéologique tournée vers la vie sociale, politique, intellectuelle ou religieuse du moment. Au xixe siècle, l'écrivain se voit déjà en « mage » ou en témoin privilégié. Mais, défenseur de valeurs humanistes ou esthétiques intemporelles, il tient le monde réel à distance, la gratuité de l'œuvre étant le garant de sa spiritualité et la manifestation de sa rupture avec le temporel. Cette distance au monde s'accentuera avec la génération symboliste et post-symboliste. La recherche par Marcel Proust du salut par l'art est le couronnement de l'attitude de cette génération d'avant-guerre. Mais les intellectuels écrivains de l'entre-deux-guerres et au-delà, jusqu'aux années 1960, ne se contentent plus d'être des clercs au service de l'art ou les défenseurs de valeurs transcendantes. Ils vont au contraire empoigner la réalité et l'actualité à bras-le-corps et intervenir directement par leurs écrits et par leurs actes. Plusieurs facteurs ont entraîné ce renversement d'attitude.

Le culte de l'action

Les hommes de lettres ont été attirés vers l'activisme. Par suite de circonstances politiques et sociales qui ont fait revivre le souvenir du rôle positif joué par eux dans le passé, durant les époques troublées de notre histoire (en particulier la Révolution française), et qui ont rendu très présents aux esprits certains destins exemplaires, les rêves d'action, avec l'illusion d'efficacité immédiate qu'ils apportent, ont séduit toute une génération. Ce nouvel état d'esprit s'est manifesté dès le début du siècle dans les avant-gardes. Après la lassitude de fin de siècle, un incontestable plaisir de vivre, un désir de consommer le plus de réalité possible avant de prendre sa plume s'emparent de bon nombre d'écrivains. D'où le goût pour le mouvement, le risque, l'aventure, l'intérêt pour toutes les possibilités que les techniques modernes offrent à l'homme nouveau. L'aviateur en particulier devient le « chevalier des temps modernes » (Nadaud, Kessel, Saint-Exupéry, Malraux). Les futuristes chantent la « beauté nouvelle du monde » (Ungaretti), l'attrait de la vitesse, du sport. Si, comme Proust et contre Sainte-Beuve, on est désormais persuadé qu'un monde sépare l'homme de l'artiste et que seule l'œuvre est susceptible de nous révéler ce qu'il y a d'essentiel en ce dernier, la qualité d'existence, l'intensité des expériences de l'homme de chair et la qualité des situations et des personnages que l'artiste met en scène en tant qu'écrivain semblent des données inséparables. Comme l'écrit Malraux à propos de l'extraordinaire destinée de Lawrence d'Arabie, à l'origine des Sept Piliers de la sagesse : « La force de la réponse du Christ devant la femme adultère ne vient pas du talent des Évangélistes » (N'était-ce donc que cela ?). La participation émotionnelle et active de l'écrivain à la vie devient le seul garant d'une écriture de prix. Telle est, entre autres, la conviction affirmée du Breton de Nadja et le sens des expériences surréalistes. C'est elle qui a aussi poussé de nombreux écrivains, comme Malraux, à étendre sans cesse leur champ d'expériences. Cette conviction implicite[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université catholique de Louvain (Belgique)
  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur de la série Malraux à la Revue des lettres modernes

Classification

Média

André Malraux - crédits : Archiv Gerstenberg/ Ullstein Bild/ Getty Images

André Malraux

Autres références

  • LITTÉRATURE ENGAGÉE

    • Écrit par
    • 1 422 mots

    En 1948, avec Qu'est-ce que la littérature ?, Jean-Paul Sartre (1905-1980) tente de déterminer ce qu'est la littérature engagée. Mais si l'expression connaît une théorisation, tardive et singulière, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, le fait même n'est pas nouveau. Il existe dans l'histoire...

  • ACTION COLLECTIVE

    • Écrit par
    • 1 466 mots
    ...charisme, les mécanismes de contagion mentale et le rôle des croyances, des attentes et des frustrations ont été les premiers facteurs évoqués pour expliquer les raisons incitant les individus à adhérer et participer à des entreprises collectives. Ainsi, Gustave Le Bon (Psychologie des foules, 1895) rend...
  • AFFICHE ROUGE L'

    • Écrit par
    • 2 508 mots
    • 2 médias

    En février 1944, une gigantesque affiche fut placardée dans les principales villes de France par les services de la propagande allemande. Sur un fond rouge se détachaient en médaillon les visages de dix hommes aux traits tirés, avec une barbe de plusieurs jours. En haut de l'affiche, on pouvait...

  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par , , , , , , et
    • 29 784 mots
    • 28 médias
    ...en Europe, ils pourront enfin s'exprimer et continuer à dénoncer ce régime qui leur a rendu la vie impossible. En 1958, un poète métis, Dennis Brutus, lance une association pour combattre la ségrégation raciale dans le domaine des sports. En 1961, il est assigné à résidence. Arrêté en 1963, il est relâché....
  • AGHION PHILIPPE (1956- )

    • Écrit par
    • 1 173 mots
    • 1 média
    Intellectuelengagé, Philippe Aghion est naturellement consulté par les dirigeants politiques français. En 2007, il est membre de la commission Attali pour la « libération de la croissance française » établie par le président Nicolas Sarkozy. En 2010, dans un rapport à la ministre de l’Enseignement...
  • Afficher les 135 références