QUARTON ENGUERRAND (av. 1419-env. 1466)
Les grands retables
Pierre Cadard fait aménager spécialement une chapelle attenante à l'église des Célestins, dédiée à l'origine au cardinal Pierre de Luxembourg. Il y place le retable de la Vierge de Miséricorde (musée Condé, Chantilly), exauçant ainsi les vœux de ses parents décédés en 1449. Un second peintre était associé à Quarton, Pierre Villatte, qui aurait exécuté la prédelle aujourd'hui perdue.
Thème fréquent dans la peinture française et italienne, la Vierge de Miséricorde écarte les pans de son manteau pour y abriter, à sa droite, les représentants du monde ecclésiastique et, à sa gauche, ceux du monde laïc. Jean Cadard et sa femme Jeanne de Moulins sont présentés à la Vierge par les deux saint Jean. Les personnages abrités sous le manteau de la Vierge semblent être des portraits de gens connus. À la droite de la Vierge, un pape portant la tiare, la mitre à trois couronnes, pourrait être Nicolas V. Derrière lui apparaît un cardinal, peut-être Pierre de Luxembourg. À la gauche de la Vierge, on reconnaît facilement Charlemagne (qui avait introduit une prière grecque évoquant le thème du manteau protecteur à laquelle les inscriptions sur les banderoles feraient allusion), et, à l'arrière-plan, un roi et une reine. Deux personnages, les seuls représentés de face, sont partiellement cachés par la robe de la Vierge. Celui de droite porte un bonnet rond fréquent dans la peinture italienne. Les portraits des donateurs, portraits posthumes, les montrent habillés à la mode qui correspond à l'année de leur mort, 1449. La composition du tableau, en bas relief devant un fond neutre, est rehaussée par les contrastes des couleurs très intenses, rouge écarlate et pourpre, encore accusés par des tons gris, bruns et noirs des costumes de la Vierge et des donateurs.
Nous trouvons le même parti dans le retable exécuté pour le chanoine Jean de Montagnac, destiné à l'autel de la Sainte-Trinité de l'église des Chartreux à Villeneuve-lès-Avignon. Un prix-fait du 23 avril 1453 stipule tous les détails iconographiques du retable, ainsi que le délai accordé au peintre pour le terminer à la Saint-Michel de 1459 (le 29 septembre), date confirmée par une inscription qui se lisait encore au xviie siècle. Le trait le plus frappant dans ce document est que Montagnac n'impose qu'un schéma général du sujet, multipliant les formules telles que « selon qu'il semblera mieulx au dit maistre Enguerrand ». Ainsi Quarton (comme aussi Fouquet pour les Heures d'Étienne Chevalier) peut choisir « certaine quantité d'anges accompagnant S. Michel et S. Gabriel, des séraphins rouges et des chérubins bleus » et même changer certains détails du prix-fait. Ainsi, « après le ciel [doit être] le monde dans lequel se doit montrer une partie de la cité de Rome ». Quarton ne connaissant pas cette ville profite de son privilège et préfère représenter des édifices et des rues d'Avignon. Dans le bas du tableau, à la droite du Christ, le purgatoire est représenté, « où les âmes mèneront joyes voyant que ilec s'en vont au Paradis, dont les diables mèneront grande tristesse ». À gauche du Christ, l'enfer. Les deux registres inférieurs doivent être déchiffrés comme une narration complexe, travail d'enlumineur conçu pour être vu de près, tandis que la partie supérieure nous impose une « lecture » plus distante : peinture monumentale et enluminure détaillée forment néanmoins un ensemble harmonieux. Une partie de l'enfer est occupée par un glouton attablé. Deux diables, l'un à tête de sanglier, l'autre aux ailes de chauve-souris, tentent le glouton en lui offrant un verre de vin, tout en s'apprêtant à le lui retirer. Du côté du purgatoire, les choses vont mieux puisqu'« il y aura un ange réconfortant les âmes » : en effet, un ange délivre un pape du purgatoire.[...]
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Écrit par
- Claude SCHAEFER : docteur ès lettres, professeur honoraire d'histoire de l'art, universités de Montréal et de Tours
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