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ÉNIGME

L'énigme est protéiforme : charade, rébus, anagramme, chiffre, mystère, secret, trucage, devinette, maquillage, prestidigitation, trompe-l'œil, collage, problème, oracle, etc. Elle joue ainsi sur les registres les plus divers de la connaissance (image, symbole, signe, idée), en en faisant saillir, dès les réalités les plus banales et quotidiennes, des possibilités « sur-réelles » insoupçonnées. Elle peut épouser bien des voies d'énonciation : récit, poème, rêve, pressentiment, souvenir, paradoxe, tableau, lapsus, etc. L'énigme n'a pas d'objet privilégié. Un visage croisé dans la rue, une silhouette, une démarche, une voix entendue dans une autre pièce, un regard, un sourire, un lieu, une ambiance, une sensation indéfinissable peuvent faire énigme autant, et parfois bien plus, que les grands genres de l'énigme, tels que symboles, textes gnostiques, traités alchimiques, romans policiers, tableaux surréalistes, etc. L'énigme interpelle un sujet. Il la ressent comme provenant d'un « ailleurs », comme porteuse d'une puissance d'étrangeté. À l'image du sphinx, l'énigme semble attendre ; c'est-à-dire que semble y résider une subjectivité latente qui sommeille et qui attend, dans une immobilité apparente, que passe celui qui saura l'animer. L'énigme semble ainsi un médium privilégié de l'inconscient. Cela explique l'effet numineux qu'elle peut avoir sur le conscient et sur l'imagination humaine.

C'est pourquoi, comme l'a souligné René Alleau, avant d'être éclatée en tout un ensemble de jeux profanes, « le premier caractère de l'énigme est sacré » (La Science des symboles). C'est par elle que s'expriment les oracles, c'est elle qui opère dans la révélation des mystères, c'est encore elle qui est au cœur des processus d'initiation gnostique. Par-delà tout schème de signification, dans sa survenue l'énigme est rencontre d'un sens — sens latent, mais deviné derrière le sens manifeste. Souvent d'une banalité décevante, l'énigme mime à la perfection la réalité de conscience ordinaire. Elle se cache dans l'ordre apparent des choses et masque ses échappées de sens dans la banalité des propos et des événements.

L'énigme caractérise un certain type de rapport à la réalité. Ce qui fait énigme relève plus d'une situation vécue que d'un objet de connaissance. Cette situation énigmatique survient plus ou moins brusquement dans la vie d'un sujet, mais son propre est d'agir sur une subjectivité en l'envahissant complètement. Elle peut avoir la fulgurance d'un destin comme dans l'Œdipe roi, ou l'insistance d'une voix intérieure comme dans le Faust de Goethe. Mais le sujet sent qu'il ne pourra lui échapper. Et cela d'autant moins que, dans la plupart des cas, lui seul voit ce caractère énigmatique d'une situation. L'énigme isole. Celui qui est aux prises avec une énigme vitale ne s'appartient plus.

Par un pouvoir de fascination qui appartient en propre à l'énigme, tout à coup un sujet devient l'objet même de l'énigme. C'est ce qui arrive à Œdipe. L'énigme de son passé le possède et l'obsède. La résoudre lui apparaît comme une nécessité inéluctable, elle prend visage d'impératif vital, d'urgence. Cette fascination qu'elle exerce lui vient d'un effet de sens. Il la ressent comme un signe du destin. C'est pourquoi l'énigme a souvent valeur oraculaire.

L'énigme correspond à un processus psychique relevant de la connaissance symbolique. Qu'elle soit un jeu de langage ou un jeu sur l'ambiguïté de l'image, elle exprime un travail inconscient sur les limites qui définissent la stabilité de la réalité que connaît la conscience ordinaire[...]

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