ÉNONCÉ, linguistique
En linguistique, un énoncé peut être défini comme une séquence orale ou écrite résultant d'un acte d'énonciation, c'est-à-dire produite par un sujet énonciateur dans une situation donnée. En français, la phrase minimale comporte nécessairement au moins un sujet et un verbe conjugué. En revanche, l'énoncé minimal peut être constitué d'un seul élément, de nature quelconque : des séquences comme « Bonjour ! », « Allô ? » ou « Zut ! » constituent des énoncés, mais pas des phrases. Des énoncés comme « Moi, partir ? », « Quel désastre ! », « Voir Venise et mourir », ou encore « Là, il va, je ne sais pas, moi, mais sûrement, enfin comment dire ? sûrement réagir, oui, c'est ça, réagir », ne sont pas descriptibles en termes de construction syntaxique canonique de phrases. L'énoncé peut apparaître, tantôt comme une phrase incomplète ou tronquée (« Moi ? jamais ! »), tantôt comme une phrase en quelque sorte « surchargée et bégayante » (« Ma sœur, elle, son concours, c'est pour bientôt »).
Si la structure de l'énoncé se différencie souvent de celle de la phrase, c'est parce qu'il s'agit de réalités linguistiques relevant de niveaux différents du point de vue théorique. La phrase se définit en termes de schémas syntaxiques entre unités lexicales, interprétables sur le plan sémantique ; c'est « donc une unité linguistique abstraite, susceptible d'être réalisée dans une infinité de situations différentes. En revanche l'énoncé, produit d'un acte d'énonciation particulier, « actualise » une phrase, ou des éléments de phrase dans une situation déterminée. Pour certains auteurs, la distinction entre phrase et énoncé se rattache à la distinction entre la « langue » et la « parole ». Pour d'autres, elle participerait, sur le plan du sens, de l'opposition entre la « sémantique » et la « pragmatique » : la sémantique de la phrase donnerait en quelque sorte des instructions à l'interlocuteur pour construire le sens de l'énoncé, en référence au contexte discursif et à la situation d'énonciation.
Au xxe siècle, des auteurs aussi divers que Roman Jakobson, Charles Bally, Émile Benveniste ou Antoine Culioli ont montré que la spécificité de l'énoncé est de comporter nécessairement un certain nombre de termes qui renvoient à l'énonciation elle-même, en tant que condition de production de l'énoncé. Ce sont en premier lieu les « indiciels » (ou « embrayeurs ») comme les pronoms personnels (« je » et « tu », qui désignent les deux interlocuteurs de l'acte d'énonciation, qui assument respectivement les rôles de locuteur et d'allocutaire) et les possessifs (« mon », « ton », « nos », qui mettent en relation des objets avec ces deux protagonistes). Ce sont, plus généralement, les « déictiques » (« ici », « maintenant », qui renvoient au lieu et au moment de l'énonciation). Ce sont aussi les temps verbaux (le présent, qui désigne une époque comme étant celle de l'énonciation). À partir de ces « repères », c'est de proche en proche l'ensemble des valeurs personnelles, spatiales et temporelles de l'énoncé qui se trouvent construites. De même, l'énoncé comporte des termes qui permettent au locuteur de prendre position par rapport à son contenu : modalités (assertives, interrogatives, exclamatives, appréciatives), adverbes d'énonciation (« heureusement », « hélas »...), marques de discours rapporté avec lequel le locuteur prend plus ou moins ses distances (verbes de parole ou verbes dits « d'attitude propositionnelle », guillemets, marques de discours indirect...). Tout énoncé comporte donc, d'une part, un contenu représentatif (le « dictum ») et, d'autre[...]
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Écrit par
- Catherine FUCHS : directrice de recherche émérite au CNRS
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