PROTOCOLAIRES ÉNONCÉS
Notion d'épistémologie contemporaine, d'origine anglo-saxonne, qui traduit l'anglais protocol sentences et l'allemand Protokoll Sätze. Avant toute spécialisation philosophique, le terme allemand Protokoll désignait un compte rendu, un procès-verbal, notamment des débats d'un procès.
C'est autour des années trente que les néo-positivistes (membres du cercle de Vienne), R. Carnap et O. Neurath, donnent à l'expression un sens renouvelé et lui font désigner les propositions qui, décrivant l'expérience immédiate, la perception d'un observateur, sont considérées comme les éléments premiers de la connaissance et de la science. En 1931, Carnap semble admettre parmi les énoncés protocolaires aussi bien « vert ici maintenant », « joie maintenant » que « cercle vert maintenant » ou « une boule verte roule sur la table ». Neurath y ajoute la mention du nom de l'observateur, par souci de communicabilité intersubjective : « Énoncé protocolaire d'Otto, à 3 h 17 ⇌ pensée verbale d'Otto, à 3 h 16 ⇌ dans la pièce, à 3 h 15, une table était perçue par Otto. »
Les énoncés protocolaires répondent ainsi à une triple préoccupation. En premier lieu, ils découlent de l'analyse faite par Wittgenstein du langage scientifique dans le Tractatus logico-philosophicus en 1921 : le sens et la vérité d'une proposition complexe dépendent de la vérité de ses constituants ; ces derniers peuvent être également complexes ; l'analyse se termine lorsqu'on parvient à des propositions élémentaires ultimes, c'est-à-dire, pour Wittgenstein, à des agencements de noms qui représentent les agencements possibles de choses simples, à des « tableaux logiques d'états de choses élémentaires » (les énoncés protocolaires peuvent donc être considérés, pour une part, comme de tels tableaux logiques). En deuxième lieu, ils répondent au souci de trouver un fondement de la science : tout repose en définitive sur la vérité ou la fausseté des propositions élémentaires ; en 1934, M. Schlick parle de la quête nécessaire d'une classe de propositions qui fournissent le « fondement inébranlable et indubitable de toute connaissance ». Enfin, ils répondent au souci de fonder le principe de vérifiabilité, qui fait de la capacité d'un énoncé à être vérifié le critère permettant de lui donner ou non un sens.
Il est à noter que les énoncés protocolaires représentent seulement une espèce dont le genre serait ce qu'on appelle « propositions élémentaires », ou « propositions de base » (en anglais, basic statements). Parmi ces dernières, il faudrait compter d'autres espèces, tels les « constats d'expériences » (en allemand, Konstatierungen) de Schlick, qui se caractérisent par l'usage des particuliers égocentriques (je, ici, maintenant), tandis que les énoncés protocolaires ont une expression objective (Un tel, au lieu x, à l'instant t). On trouve chez Russell (The Analysis of Mind, 1921 ; An Inquiry into Meaning and Truth, 1940) et chez Ayer (Basic Propositions, 1950) des conceptions différentes.
La question des propositions élémentaires a suscité et suscite encore de nombreuses controverses. Parmi les questions le plus souvent abordées, on peut mentionner les suivantes :
L'aspect subjectif de l'expérience perceptive, fût-elle d'observation. Les propositions élémentaires doivent-elles être les descriptions des expériences privées du locuteur, ou d'événements observables par tous ?
Ces énoncés sont-ils indubitables, irréfutables, ou falsifiables ?
Est-il même légitime d'admettre l'existence d'une classe particulière de propositions à titre de propositions élémentaires ?
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Écrit par
- Françoise ARMENGAUD : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes
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