ÉNONCIATION, psychanalyse
La « cure psychanalytique », ou plus exactement le travail analytique, tel que Freud en a conçu et formulé les règles, est un travail verbal. Prétendre intégrer dans le processus psychanalytique un redressement de comportements anormaux ou déviants fait partie d'une entreprise de dénaturation de la psychanalyse. L'analyste n'a d'autre matériau que ce qui se passe sur le divan, défini comme un lieu de parole où sont représentées dans un discours les positions fondamentales du patient. La présence d'un analyste, le maintien de son silence, la rétribution de ce silence (comme on « désintéresse » quelqu'un d'une affaire) sont autant d'éléments qui composent une situation de parole. À quoi il convient d'ajouter, aujourd'hui, la vulgarisation d'un certain nombre de thèses diffuses construites à partir de la découverte de Freud : existence de l'inconscient, prédominance de la sexualité, mythe de l'Œdipe ; ces thèses constituent des discours déjà écrits quelque part, publiés, voire à la mode, et que le patient se croit plus ou moins obligé de reprendre à son compte. En d'autres termes, des énoncés qui se trouvent repris et assemblés comme on compose un recueil de morceaux choisis, énoncés au second degré en quelque sorte, énoncés d'énoncés. Ainsi paradoxalement, la diffusion des thèses de Freud entraîne, au moins dans un premier temps, un effet contraire à celui qui était visé au départ, savoir l'acte même de parler, l'acte d'énoncer, l'énonciation.
Un même énoncé est susceptible de recevoir des significations très différentes, voire opposées, selon la situation de parole dans laquelle les personnes le prononcent et l'entendent, selon l'intonation, la mimique gestuelle, le décor. Cette remarque d'évidence — qui fait l'une des bases de la représentation théâtrale — implique comme conséquence immédiate que ce qui intéresse le sujet parlant dans sa parole ne réside pas dans le contenu (énoncé) mais dans le temps et lieux où cette parole est prononcée. La règle analytique, « dites ce qui vous vient » ou, plus grossièrement, « associez librement », suppose que les éléments du discours ne peuvent avoir de sens que par ce qui n'est pas eux, par la manière dont ils sont reliés les uns aux autres, le moment de leur apparition, voire l'entreprise d'évitement, d'occultation ou de travestissement dont ils sont l'objet. C'est assez dire que l'analyse ne se préoccupe guère du contenu isolé d'un énoncé, mais essentiellement de la manière dont cet énoncé est produit, à savoir selon des procédures dont le contrôle échappe, pour la partie la plus importante, au sujet parlant. Il suffit de rappeler la définition de Chomsky (locuteur-auditeur idéal, sans limitation de mémoire, sans distraction, sans erreurs telles que les lapsus) pour marquer aussitôt que les points d'attaque du questionnement freudien, non seulement échappent à la linguistique, mais sont refusés par elle.
Il s'agit en effet que le discours, clos sur lui-même, soit enfin brisé, déconstruit, coupé, pour donner voix à ce qui est du registre des positions inconscientes. Là où la tentative de Jakobson s'appuie sur des éléments d'énoncés pour y déceler la part de responsabilité qu'y prend un sujet parlant, la psychanalyse ne peut entendre qu'un énoncé produit pour un autre, depuis un lieu autre que celui du locuteur. J. Lacan a défini les pôles à partir desquels plusieurs types de discours sont articulés, c'est-à-dire les structures symboliques de diverses figures de l'énonciation. Sans entrer dans le détail des formulations lacaniennes, et au risque de fausser du même coup les thèses présentées, on retiendra que la production des énoncés s'articule selon un certain nombre de trajectoires privilégiées dans l'énonciation.[...]
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Écrit par
- Jean-Yves POUILLOUX : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé des lettres classiques, maître de conférences en littérature française à l'université de Paris-VII
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