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ÉNONCIATION

Le sens de l'énoncé comme description de l'énonciation

Vue à travers la terminologie qui vient d'être proposée, la notion d' énonciation est utile à la fois pour décrire le sens des énoncés (considéré comme le fait, le donné, à expliquer) et pour établir la signification des phrases (i. e. l'objet au moyen duquel le linguiste explique le sens). En ce qui concerne le premier point, on peut définir le sens d'un énoncé (mais ce n'est évidemment pas la seule définition possible) comme une description de son énonciation : ce serait une sorte d'image construite par le locuteur pour l'allocutaire, dans laquelle il caractérise le fait historique que constitue l'apparition de l'énoncé.

Au centre de cette définition il y a l'idée que le locuteur, même dans les énoncés en apparence les plus « objectifs », parle de l'énonciation. Historiquement, une telle thèse doit être reliée aux recherches de Benveniste sur les pronoms (Problèmes de linguistique générale, I, chap. xx), même si elle amène finalement à les mettre en doute.

Benveniste s'appuie sur le fait bien connu que les pronoms de première et de deuxième personne servent à désigner, respectivement, l'être qui est en train de parler et celui à qui on est en train de parler. D'où il résulte qu'en employant un tel pronom on fait toujours allusion à sa propre parole, à l'instance de discours à l'intérieur de laquelle on l'emploie. Le moment difficile du raisonnement de Benveniste est celui où, à partir de ce fait, et compte tenu qu'il existe des pronoms de première et de deuxième personne dans toutes les langues connues, il conclut que l'allusion à l'instance de discours est un trait essentiel, fondamental, de la parole humaine. Conclusion qui n'a aucune nécessité si on entend par « trait essentiel » un trait rendu nécessaire par les contenus que cette parole communique. On peut toujours répondre en effet que le recours à je et à tu pour la désignation d'êtres particuliers est un simple procédé, dont l'universalité s'explique uniquement par son caractère économique. Afin de montrer cela, il suffit d'imaginer une langue sans je et sans tu, et d'y traduire toutes les informations qui s'énoncent à l'aide de je et de tu. Pour dire : « Je suis triste », Dupont dirait : « Dupont est triste », et pour dire : « Je m'appelle Dupont », il dirait : « La personne présente en tel endroit à tel moment s'appelle Dupont. » Si donc on veut soutenir la conclusion de Benveniste, selon laquelle l'allusion à l'instance de discours est essentielle à la parole, il faut la dissocier de son argumentation, et ne pas s'appuyer sur la fonction référentielle de mots particuliers (pronoms personnels ou déictiques comme ici et maintenant), car les mêmes références peuvent toujours, à la rigueur, être faites sans ces mots. Plus généralement, si l'allusion à l'énonciation est constitutive du sens d'un énoncé, ce n'est pas parce que ce sens comporterait des indications impossibles à communiquer autrement que par rapport à la situation dans laquelle on parle. Pour défendre la thèse de Benveniste, il faut soutenir que le sens lui-même consiste en une description de l'énonciation : l'allusion qu'il fait à celle-ci tient donc à ce qu'il parle d'elle, et, dans cette mesure, ne relève pas d'un procédé, mais d'une nécessité.

On trouvera un premier argument dans la considération de ce que les philosophes du langage, à la suite de J. L. Austin, appellent « actes illocutionnaires ». Parmi les actes que l'on peut chercher à accomplir en produisant un énoncé, Austin sépare les actes illocutionnaires (interroger, affirmer, ordonner, promettre...) et les actes perlocutionnaires[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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