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ENTRE LES MURS (L. Cantet)

Que se passe-t-il entre et surtout derrière les murs d'une école ? Des cinéastes de talent, Jacques Doillon ou Abdellatif Kéchiche par exemple, ont atteint une vérité certaine dans la description des adolescents dans la rue ou des lieux qu'ils s'approprient. Mais la chose est plus rare dans l'univers d'une salle de classe, où l'affrontement avec l'adulte se produit à l'abri des regards. Pour répondre à la question, Laurent Cantet a choisi la fiction. Non pour raconter ce qui se passe « entre les murs » d'une classe de quatrième du collège Françoise-Dolto, dans le XXe arrondissement de Paris, mais, à la manière du Jean Rouch des Maîtres fous, pour réaliser une œuvre où se mêlent le regard de l'observateur et le travail des « objets » d'étude.

Pour cela, et sur la durée d'une année scolaire, Laurent Cantet a organisé des ateliers où pouvaient être « testées » les scènes préalablement écrites avec son scénariste habituel Robin Campillo à partir du roman de François Bégaudeau, et les improvisations des jeunes « acteurs » qui en découlaient. Sans céder sur les éléments clés qui structurent la dramaturgie, le réalisateur a fait en sorte qu'ils puissent à la fois créer et remodeler leur personnage. Dans le dispositif qu'il a mis en place, Laurent Cantet filme en continuité, avec trois caméras HD situées du même côté, comme pour un match de football ou de tennis. Quant à François Bégaudeau, alias François Marin, il devient sur le plateau à la fois le délégué du metteur en scène, dirigeant et orientant les acteurs dans le sens souhaité, et le professeur (qu'il fut) s'efforçant de « faire classe », sa propre « mise en scène » s'emboîtant dans celle du film.

Aucune méthode traditionnelle, avec des acteurs « professionnels », n'aurait pu atteindre une telle justesse dans la description de la vie d'une classe. D'où la surprise d'une grande partie des spectateurs, parents ou non, qui découvrent avec étonnement la tension constante qui règne entre enseignés récalcitrants, à la susceptibilité à fleur de peau, et enseignants dont la (bonne) volonté s'effrite au fil des joutes verbales et bute contre une violence susceptible d'éclater sous le prétexte le plus futile. Certains n'ont pas reconnu en François Marin le professeur qu'ils tendent à être. Mais Entre les murs ne veut pas être la copie conforme d'une réalité sociologique. Cette classe est « une » classe, le produit de l'imagination de ses divers créateurs. Et son professeur, mélange de réalité et de fiction lui aussi, n'a rien d'exemplaire, à la différence de ceux auxquels nous a habitué le cinéma, du Robin Williams du Cercle des poètes disparus au Georges Lopez d'Être et avoir. « Il se trompe sur toute la ligne », lui reproche-t-on : c'est précisément le propos du film. Frank Verdeau, le jeune D.R.H. d'un précédent film de Cantet, Ressources humaines (1999), était amené à renoncer à une neutralité intenable entre patronat et ouvriers, et à licencier son propre père. François Marin est pris dans un engrenage semblable, qui l'enferme à son tour dans une contradiction insoluble. Celle-là même qu'illustre plaisamment la discussion sur la machine à café, digne du théâtre de l'absurde : augmenter le tarif pour la rentabiliser conduit à ne plus s'en servir. Le conseil de classe est incontournable après l'éclat de Souleymane, mais il est inutile, voire dangereux... Mais cette fois, le langage n'est plus un jeu.

La parole constitue l'enjeu essentiel de la dramaturgie d'Entre les murs – et, plus largement, cet autre langage que sont les postures, les gestes et leur emphase, le vêtement... Avant de marcher d'un pas décidé vers le collège, aux premiers[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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