ENTREPRISE Sociologie de l'entreprise
La sociologie de l'entreprise est enseignée comme telle et fait l'objet de manuels depuis les années 1990. Elle permet de réunir des connaissances accumulées tout au long du xxe siècle. Auparavant, les pères fondateurs de la sociologie avaient une vision trop large pour s'intéresser de près au fonctionnement des entreprises. Au xixe siècle, Marx ne voit que des étapes historiques déterminées par l'évolution des rapports de production. Au début du xxe siècle, Weber prend le contre-pied du matérialisme marxiste et voit le protestantisme souffler sur l'esprit du capitalisme. Mais, pour opposées qu'elles soient, ces deux visions n'entrent pas dans le détail de ce qui se passe dans chaque entreprise. Ensuite, durant le cours du xxe siècle, les sociologues visent souvent soit trop court, soit trop long pour cerner l'entreprise. La sociologie du travail permet d'approcher du travailleur sans s'occuper trop du propriétaire et encore moins du client. La sociologie des organisations permet d'étudier certes l'entreprise mais aussi les administrations et les associations pour en établir le dénominateur commun. C'est à partir des années 1980 qu'une synthèse spécifiquement consacrée à la sociologie de l'entreprise est amorcée.
On retrouve la même évolution en économie. Les classiques avec Walras, au xixe siècle ou les macro-économistes avec Keynes, au xxe siècle, négligent ce « rouage » qu'est l'entreprise. À la notable exception de l'école autrichienne, il faut attendre les théories des droits de propriété, de l'agence ou des coûts de transaction pour voir que, entre les individus et le marché, il y a des entreprises dans toute leur consistance.
Chez les juristes, c'est net. Encore aujourd'hui, il y a un droit commercial pour les clients, un droit social pour les travailleurs, un droit des sociétés pour les propriétaires, mais il n'y a pas à proprement parler de droit de l'entreprise. Certains juristes plaident d'ailleurs pour qu'il n'y en ait jamais, l'entreprise étant considérée plus comme un « nœud de contrats » que comme une véritable « institution ».
En fait, l'entreprise est pour tous une entité difficile à cerner. Dans un pays comme la France, il y a les grands groupes connus, mais 95 p. 100 des entreprises sont petites ou moyennes. On se polarise encore souvent sur l'industrie ou la technologie, mais la majorité des activités sont dans les services. On parle de pérennité, mais des milliers d'entreprises se créent ou disparaissent dans un renouvellement incessant. Il y a la réalité locale, mais aussi un contexte mondial y compris dans les domaines où « l'exception culturelle » est revendiquée (J.-P. Warnier, 1999). Il y a la « nouvelle économie » apportée par Internet, mais elle n'enterre pas « l'ancienne » : si le consommateur ne pousse plus son chariot dans un supermarché parce qu'il fait ses courses depuis son ordinateur personnel, il faut continuer à lui garantir une logistique, une sécurité de paiement et de livraison qui, elles, n'ont rien de « virtuel ».
Ajoutons que l'idéologie ambiante ne facilite pas une approche neutre de l'entreprise. Toute tentative interfère avec des discours aussi bien managériaux que critiques qui évoluent en outre en profondeur. Dès le milieu des années 1970, les managers abandonnent le discours de l'exécution et du contrôle dans des hiérarchies où règne la division des tâches. Le discours prévalent est désormais celui de l'autonomie et de l'initiative dans des réseaux où se développent des projets. Cela permet de récupérer la critique « artistique » qui revendiquait une libération des salariés et une authentique qualité des produits. Cela disqualifie aussi la critique « sociale » qui dénonçait la misère et l'exploitation[...]
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Écrit par
- Jean-Michel MORIN : docteur en sociologie, maître de conférences à l'université de Paris-V
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