ENTREPRISE Sociologie de l'entreprise
L'environnement
Une « affaire de société » ?
Vu sa constitution en réseau d'acteurs, l'entreprise est ancrée dans la vie sociale. De ce fait, un courant de sociologues (R. Sainsaulieu et D. Segrestin, relayés par P. Bernoux ou C. Thuderoz) voudrait ériger l'entreprise en « institution ». Ce « réenchantement » de l'entreprise, qui remonte aux années 1980, conduit à placer en elle certains des espoirs qui se portaient vers l'Église (xiiie s.), l'école (xixe s.) ou l'État (xxe s.) à d'autres époques. Cela revient à faire porter à l'entreprise le poids de responsabilités élargies en matière d'emploi, de formation, de socialisation, de culture, de santé, d'aménagement du territoire, de protection sociale, d'équilibre biologique... C'est peut-être nourrir à nouveau beaucoup d'illusions que d'attendre autant d'un mode particulier de coordination qui ne peut suffire à réguler plus largement l'économie et la société.
Un modèle de « citoyenneté » ?
Dans un monde où l'individu moderne est épris de liberté et de communication, nombre de sociologues posent la question récurrente de la démocratie dans l'entreprise (D. Martin). La réponse apportée est souvent partielle. Elle consiste à revendiquer une expression toujours plus forte des salariés. À cet égard, on ne peut que se réjouir des progrès enregistrés par le droit social au long du xxe siècle : délégués du personnel, comités d'entreprise... Il ne faudrait pas oublier pour autant que les propriétaires ont leur mot à dire, ce que les statuts d'entreprise mis au point depuis le milieu du xixe siècle (société anonyme, société à responsabilité limitée...) leur permettent : assemblées générales, conseils d'administration... À ces deux cas de démocratie plutôt représentative, il convient d'en ajouter un troisième, de démocratie plus directe : celui des clients qui « votent » pour une entreprise à chaque fois qu'ils achètent un de ses produits. Dans ce système pourtant très local et fondé sur une triade, on a ainsi trois « peuples » pour une « démocratie ».
Un « cycle de vie » ?
De nombreuses entreprises « naissent ». De nombreuses entreprises « meurent ». Ce renouvellement des entreprises, entre créations et disparitions, invite à poser une dernière question : celle de la « survie » ou de la pérennité du système. Or, souvent, on sacralise à l'excès la valeur que peut revêtir la « vie » d'une entreprise. Le vocabulaire est déjà révélateur. On parle de l'entreprise et de son « cycle de vie » comme s'il s'agissait d'un être vivant, régi par les lois d'une biologie souvent darwinienne. En fait, l'entreprise n'est qu'un moyen, un simple mode de coordination pour que les acteurs y trouvent leur compte. En conséquence, elle n'a pas de valeur en elle-même. À la limite, il ne serait d'utilité pour personne qu'une entreprise propose de mauvais produits, exploite des salariés et enregistre des pertes. Elle représenterait alors un pur manque de résultats et un parfait gaspillage de ressources. Elle n'a d'intérêt que si au moins quelqu'un commence à y trouver un avantage, ce qui n'est possible – on l'a vu – que si les autres s'y retrouvent aussi.
Pour conclure, l'entreprise n'est ni un lieu d'exploitation sauvage, ni une institution citoyenne providentielle. Elle n'est qu'un mode de coordination. Il se trouve que ce moyen permet de servir les clients tout en valorisant le travail et en rentabilisant l'investissement. Si ces objectifs sont atteints conjointement par ce moyen, ils ont – eux – toute leur valeur.
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Écrit par
- Jean-Michel MORIN : docteur en sociologie, maître de conférences à l'université de Paris-V
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