ENZYMES Histoire de la notion
La relation structure-fonction au cœur de l’activité enzymatique
Cependant, ces études cinétiques informent peu sur ce qui se passe à l’intérieur du site actif. En fait, le mécanisme de l’activité enzymatique ne peut être compris qu’au travers de la structure de la molécule-enzyme et de ses interactions avec le substrat et le milieu. Ainsi, la destruction de la structure des protéines par la chaleur et divers agents chimiques, opération très simple, détruit l’activité enzymatique. Mais l’étude du site actif et des mécanismes réactionnels qui y surviennent est très laborieuse. Même si on a facilement pu conclure que certains groupements chimiques des protéines (–OH, –SH, –NH2) y étaient essentiels, la compréhension de la nature du site actif attendra les études sur la structure fine des protéines qui ne débuteront qu’après 1950, comme celles sur le repliement des protéines leur permettant d’atteindre leur configuration active. En pratique, la forme dans l'espace des grands motifs structuraux (feuillets, hélices) des protéines est d’abord établie par Linus Pauling (1901-1994) à partir de 1950. L'existence de cristaux de protéines permet de définir leur structure tridimensionnelle par diffraction des rayons X : la première est la myoglobine en 1957 par John Kendrew (1917-1997). Enfin, la technicité progressant, on montre avec précision que l’activité catalytique dépend de la position relative de radicaux chimiques de certains acides aminés au sein du site actif de l’enzyme, vis-à-vis du substrat à transformer. Les liaisons qui s’établissent entre acides aminés du site et substrat entraînent ainsi la déformation du substrat et abaissent l’énergie d’activation de la liaison à modifier, permettant à la réaction de survenir. On voit bien ici l’insuffisance du modèle clé-serrure de Fischer, qui n’a qu’une valeur analogique simple, donnant une image statique, devant la dynamique des interactions atomiques au sein du site actif.
Avec l’avènement de la biologie moléculaire, de telles études structurales sont grandement facilitées. En effet, à partir de la seule séquence en acides aminés d’une protéine, elle-même dérivée de la séquence nucléotidique du gène aisément déterminée, il est possible de déterminer (ou de modéliser) très rapidement les structures dans l'espace des macromolécules, voire d'édifices d'enzymes. Plus encore, la mutagenèse dirigée permet de modifier précisément tel ou tel acide aminé de la protéine, y compris jusque dans le site actif. Les conséquences de ces changements sur l’activité enzymatique confirment ou infirment les hypothèses sur le mode d’action de l’enzyme. Ce dernier se ramène invariablement à la disposition relative dans l’espace de groupements chimiques réactifs des acides aminés, au sein d’un repli particulier de la protéine-enzyme.
On a assisté ainsi au passage graduel d'une enzymologie thermodynamique née au début du xxe siècle, dans laquelle on étudiait l'activité enzymatique comme on étudie l'interaction entre molécules libres dans un solvant, à une approche dominée par les études structurales, les interactions au niveau atomique et les mécanismes réactionnels. La catalyse enzymatique est devenue un jeu d’effets d’interactions au niveau atomique au sein du site actif. Le mécanisme catalytique peut désormais même être « vu » en temps réel, grâce à certains appareillages comme le synchrotron à rayons X.
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Médias