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ÉPHÉMÈRE, arts

En 1911, Filippo Tommaso Marinetti, l'inventeur du futurisme, proclamait avec virulence : « À la poésie du souvenir nostalgique, nous opposons la poésie de l'attente fiévreuse. Aux larmes de la beauté qui se penche tendrement sur les tombes, nous opposons le profil tranchant, aiguisé, du pilote, du chauffeur et de l'aviateur. À la conception de l'impérissable et de l'immortel, nous opposons, en art, celle du devenir, du périssable, du transitoire et de l'éphémère. » Après l’émergence de ce mouvement, puis des happenings, des performances, du land art et des pratiques in situ apparus un demi-siècle plus tard, l'art aurait-il changé de régime, quittant l'éternel pour choisir l'éphémère – ou bien cela ne serait-il que fantasme, ou lieu commun ?

Le contraire de l'éternel

Il n'existe pas, dans le domaine de l'art, de théories spécifiques de l'éphémère. Le mot lui-même renvoie seulement, avant le xixe siècle, à la fièvre « qui ne dure qu'un jour » et à l'insecte ailé qui meurt quelques heures après sa naissance. Pourtant, l'idée selon laquelle l'art ancien ferait de l'éternité ou de l'immortalité son unique horizon, alors que l'art moderne, au moins depuis un siècle, favoriserait quant à lui le régime de l'éphémère, est largement répandue. Or elle mérite au moins d'être mise en question.

Si les ziggourats mésopotamiennes et les pyramides égyptiennes semblent bien procéder d'un désir d'approcher l'éternité, l'immortalité des dieux qu'elles célèbrent, les kouroï et koraï de la Grèce archaïque, ces statues à la fois divines et humaines représentant, pour les premiers, de jeunes gens nus, pour les secondes, de jeunes filles entièrement vêtues, construisent déjà, à leur manière, une tension entre l'éternel et l'éphémère, en donnant à saisir à travers leur beauté la jeunesse, éternelle chez les dieux, éphémère chez les mortels.

Cette même tension caractérise une part de l'art occidental depuis l'Antiquité, et les grands textes sur l'art de la Renaissance en portent la trace, tel celui de Leon Battista Alberti, lorsqu'il cherche à faire apparaître, dans son Traité de la peinture (1435, trad. franç. 1992), le « mérite » de cette dernière : « Elle a en elle une force tout à fait divine qui lui permet de rendre présents, comme on le dit de l'amitié, ceux qui sont absents, mais aussi de montrer après plusieurs siècles les morts aux vivants, de façon à les faire reconnaître pour le plus grand plaisir de ceux qui regardent dans la plus grande admiration pour l'artiste. » Divine, la peinture l'est donc en ce qu'elle peut surpasser le caractère éphémère de l'existence humaine. C'est bien aussi la fugacité des choses de ce monde que l'âge baroque peint dans ses vanités et ses natures mortes, en donnant à voir sous la sensualité des fruits et des fleurs qui les composent leur devenir inéluctable.

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