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ÉPHÉMÈRE, arts

Les œuvres à matérialité intermittente

On aura saisi que la partition proposée par Marinetti entre art ancien, tourné vers l'affirmation de valeurs éternelles, et art moderne préoccupé d'éphémère, n'est pas valide. Si l'on considère maintenant l'art moderne, force est de constater qu'y règnent quelques confusions dues sans doute aux nouveaux modes d'apparition des œuvres d'art. Faut-il, par exemple, considérer les œuvres in situ, réalisées précisément pour un site, comme des œuvres éphémères ? Non, dans la mesure où (en théorie du moins) rien n'empêche de les recréer dans le même site quelques mois ou quelques années après leur première apparition.

On ne saurait en effet confondre les œuvres dont la matérialité n'est pas permanente avec de véritables œuvres éphémères – mais ces dernières existent-elles vraiment ? Apparues pour la plupart dans les années 1950, les « œuvres à matérialité intermittente » (telles que les désigne Jean-Marc Poinsot) ont par exemple pour caractéristique de pouvoir être démontées et rangées hors du temps de leur exposition, d'être réalisées seulement pour leur exposition ou bien encore, pour certaines, de n'exister, hors le moment de l'exposition, que sous la forme de « modes d'emploi » qui très précisément en indiquent la matérialité et les moyens de la produire. Qualifier ces œuvres d'éphémères serait aussi étrange que de désigner une toile roulée dans la réserve d'un musée par l'expression « toile éphémère », ou de qualifier d'« éphémères » des expositions temporaires. Dans le cas de ces œuvres à matérialité intermittente, seule est temporaire leur présentation au public, et il est bien possible que leur fonctionnement soit en fait très proche de celui des créations musicales, qui n'existent que le temps de leur exécution.

On souligne aussi volontiers le caractère éphémère des œuvres du land art et de l'Arte povera : là encore, à quelques exceptions près, ce caractère est totalement absent de la plupart des travaux concernés, ou bien il constitue une conséquence des matériaux et procédés mis en œuvre, mais non une intention préalable, ni une indication du sens à donner à ces pièces, qui généralement ne s'affirment pas d'abord comme éphémères. Quant à l'incidence de l'invention du musée et de ses exigences de conservation, Denys Riout a montré que de nombreux artistes sont aujourd'hui tout à fait conscients des problèmes posés par le caractère rapidement périssable de certains des matériaux employés, et qu'ils se plient volontiers aux solutions proposées par les services de restauration des musées, pourvu que les données fondamentales des œuvres soient respectées. Rares sont en effet les artistes qui incluent la destruction totale de leurs travaux dans le projet de l'œuvre elle-même.

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