ÉPICTÈTE (50 env.-env. 130)
La doctrine
En ce qui concerne la doctrine philosophique d'Épictète, les travaux d'A. Bonhöffer restent fondamentaux. Il a pu démontrer qu'Épictète est resté fidèle aux doctrines de l'Ancienne Stoa. Au centre de toutes les considérations d'Épictète dans les Entretiens, figure le dogme fondamental de la théorie stoïcienne des biens, à savoir que les biens et les maux humains ne peuvent appartenir qu'au domaine des choses qui dépendent de « ce qui est en notre pouvoir (ta eph' hémin) » et qui résultent donc de notre libre choix moral. Le bonheur de chacun ne dépend pas des circonstances extérieures, de ses biens matériels, de la santé de son corps, de ses succès professionnels, mais de sa seule attitude morale, qui est fonction de la rectitude de sa raison. La saine raison doit se manifester dans trois domaines ou lieux (topoi) : celui des désirs et aversions, qui se rapportent aux passions ; celui des tendances positives et négatives, qui se rapportent aux devoirs et aux actions, et le domaine des jugements : « Il y a trois disciplines auxquelles doit s'être exercé l'homme qui veut acquérir la perfection : celle qui concerne les désirs et les aversions, afin de ne pas se voir frustré dans ses désirs et de ne pas rencontrer ce qu'on cherche à éviter ; celle qui concerne les tendances positives et les tendances négatives et, d'une façon générale, ce qui a trait au devoir, afin d'agir d'une façon ordonnée, réfléchie, sans négligence ; la troisième est celle qui concerne la fuite de l'erreur, la prudence du jugement, en un mot, ce qui se rapporte aux assentiments. De toutes, la principale et la plus urgente est celle qui regarde les passions, car la passion ne vient point d'ailleurs que du fait de se voir frustré dans ses désirs ou de rencontrer ce qu'on cherche à éviter. Voilà ce qui amène les troubles, les agitations, les infortunes, les calamités, les chagrins, les lamentations, la malignité ; ce qui rend envieux, jaloux, passions qui empêchent même de prêter l'oreille à la raison. La seconde discipline concerne le devoir : je ne dois pas, en effet, être insensible comme une statue, mais observer avec soin ce que réclament les relations naturelles et acquises, comme un homme religieux, comme un fils, comme un frère, comme un père, comme un citoyen. La troisième discipline s'adresse à ceux qui sont déjà en progrès : elle a pour objet d'assurer à ceux-là mêmes la fermeté d'esprit, en sorte que, pas même dans leur sommeil, ne se présente à eux, à leur insu, une représentation qui n'aurait pas été examinée... » (Entretiens, III, ii, 1-5, cité d'après la traduction de J. Souilhé). Dans chacun des trois domaines ou lieux, c'est une représentation (phantasia) qui est le point de départ de nos réactions et de nos actions. Il s'agit donc de s'exercer à juger de chaque représentation d'une manière qui est juste et appropriée, afin de n'admettre que des représentations vraiment objectives (kataleptikai phantasiai).
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Écrit par
- Ilsetraut HADOT : directeur de recherche au C.N.R.S.
Classification
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