ÉPIDÉMIES ET PANDÉMIES
Les épidémies, ces maladies sociales aux effets brusques et amples, ont longtemps été aussi méconnues des historiens que redoutées des contemporains. Si elles ont leurs rythmes propres, elles sont néanmoins en étroite corrélation avec les crises de subsistance, les mentalités, les échanges commerciaux, les guerres ou les pèlerinages. L'étude des épidémies est ainsi au carrefour des disciplines : elle appartient, certes, à la médecine, mais aussi à la géographie humaine par ses modes de propagation et ses routes, à la psychologie sociale et à la démographie par ses effets, à l'histoire, enfin, dont elle accélère, ou freine, les transformations structurales et dont elle modifie les conjonctures.
À l’origine des épidémies, les maladies infectieuses sont dues à des microorganismes. Le plus souvent, elles existent, de manière persistante, en une sorte d’arrière-plan de la santé publique dans une zone géographique donnée. Elles sont alors dites endémiques. Lorsque le nombre de cas augmente de manière inhabituelle sur un territoire donné, on parle de poussée ou de flambée épidémique puis, si l’augmentation se poursuit, d’épidémie. Enfin, lorsque le nombre de cas dépasse les frontières du territoire d’origine de l’épidémie, et que la maladie se mondialise, on parle de pandémie. Une pandémie est donc une « épidémie qui a réussi ».
Ainsi, la maladie Covid-19, causée par le coronavirus SARS-CoV-2, connaît de premières flambées épidémiques en Chine centrale en novembre-décembre 2019. Reconnue comme épidémique sur l’ensemble du territoire chinois au début de janvier 2020, elle est déclarée pandémique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) quelques semaines plus tard, le 11 mars 2020, car présente sur tous les continents et dans au moins 110 pays. À partir de mai 2020, tous les États et territoires à travers le monde sont touchés par la Covid-19.
À toutes les époques, des épisodes épidémiques ont marqué de leurs sinistres effets l'évolution des sociétés. Les brusques déséquilibres sociaux et économiques qu'elles provoquent ébranlent les assises morales et matérielles des groupes humains. C'est particulièrement le cas des pandémies, quelques-uns de leurs désastres s'inscrivant pour longtemps dans le paysage : dépopulation, décadence des villes, raréfaction des échanges, recul de certaines cultures. Leurs traces survivent non moins longtemps dans les esprits, comme l'illustre, en Europe, l'exemple de la peste noire au xive siècle.
Mais chaque époque et chaque continent présentent des caractères épidémiques spécifiques. Une épidémie ne peut pas plus être détachée de son temps que celui-ci ne peut être compris sans elle. Ainsi, l'idée de catastrophe subie comme châtiment infligé par la divinité fera place, à l'époque moderne, à celle de calamité naturelle que l'on peut combattre en enrayant la contagion. C'est ainsi que les promesses de la microbiologie qui ont suivi l'ouverture de l'ère pasteurienne au xixe siècle ont laissé espérer que les épidémies de maladies infectieuses pourraient être vaincues, ce que devait illustrer un siècle plus tard l'éradication de la variole. Cet exemple reste toutefois unique, et l’espoir fut bousculé à partir du début des années 1980 par l’émergence d’agents infectieux naguère inconnus et de plus en plus expansifs (virus du sida, de la grippe aviaire, Ebola, SARS-CoV-1, MERS-CoV ou encore SARS-CoV-2), nourrissant la crainte de nouvelles pandémies contre lesquelles les moyens de lutte qui ont permis la régression des épidémies classiques aux xixe et xxe siècles nous laissent relativement démunis.
Épidémies et pandémies à partir de l'Antiquité
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Écrit par
- Jacqueline BROSSOLLET : archiviste documentaliste à l'Institut Pasteur, Paris
- Georges DUBY : de l'Académie française
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
- Jean-Louis MIÈGE : professeur émérite d'histoire à l'université de Provence
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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