ÉPIGÉNÉTIQUE
Le terme « épigénétique » est utilisé en 1942 par le généticien Conrad Hal Waddington pour définir ce qui est littéralement « au-dessus de la génétique ». La génétique, selon la définition qu’en a donnée William Bateson en 1905, est quant à elle la science de la transmission héréditaire des caractères. Son développement autre que formel, comme la cartographie des gènes sur les chromosomes, a longtemps buté sur l’absence de compréhension des mécanismes qui assurent cette transmission d’une génération à une autre. Au cours de la seconde moitié du xxe siècle, après la découverte que le support matériel de l’hérédité était l’ ADN des chromosomes, après la découverte de la structure de l’ADN et du code génétique, on a pu croire que la totalité de l’information nécessaire au cycle biologique d’un individu, hydre d’eau douce ou homme, était inscrite dans la séquence de cet ADN, et plus précisément dans l’ensemble des gènes de son génome. La notion d’un programme génétique qui code et ordonne ce cycle s’est alors formalisée et popularisée avec la « théorie fondamentale de la biologie moléculaire » qui assigne à l’ADN, aux gènes et au génome un rôle central de stockage de l’information génétique.
À partir de la fin des années 1970, avec le développement des études moléculaires sur la différenciation cellulaire, il est apparu de nouveau que cette organisation programmatique de l’information régissant le vivant n’est pas suffisante : les gènes à eux seuls n’expliquent pas tout. Depuis près de deux mille ans, les théories de la préformation et de l’épigenèse se confrontent pour comprendre comment un organisme se développe du stade embryonnaire à l’âge adulte et comment se transmettent les caractères entre les générations. Les données expérimentales ont exclu la préformation. La manière dont un organisme complet se développe à partir d’un œuf est due à l’ expression, finement régulée dans le temps et l’espace, des gènes de l’embryon, et cette expression ordonnée exige des mécanismes complémentaires qui contrôlent l’expression de ces gènes à un niveau différent de celui de la séquence de la molécule d’ADN, notamment en modifiant de manière réversible la conformation spatiale locale de cette molécule. Ces mécanismes sont dits épigénétiques, littéralement au-dessus de la génétique.
Ils sont devenus si importants en biologie qu’ils constituent désormais une discipline à part entière, l’épigénétique. Ce terme désigne ainsi la branche de la biologie qui cherche à comprendre comment un génotype – une identité génétique, un génome – peut engendrer de multiples identités cellulaires ou phénotypes (200 types de cellules différentes chez l’homme), c’est-à-dire l’ensemble des caractères observables d’un individu, aussi bien morphologiques que moléculaires. Au travers de mécanismes ne reposant pas uniquement sur la seule séquence de l’ADN, cette discipline propose de nouveaux cadres conceptuels et théoriques à l’échelle de la cellule, des organismes et des populations pour l’étude de l’activité des génomes et de la manière dont ils participent à la transmission des caractères (hérédité).
Les niveaux de contrôle épigénétique de l’expression des gènes
Les niveaux de contrôle épigénétique coïncident en large part avec les niveaux d’organisation de l’ADN au sein d’un chromosome. Le génome humain est constitué par vingt-trois paires de chromosomes. Présents dans chacune de nos cellules, ces morceaux de l’ADN humain atteindraient une longueur de près de 2 mètres s'ils étaient déroulés et mis bout à bout. In vivo, la double hélice d’ADN est finement organisée, structurée, compactée dans un noyau qui n’excède que rarement 10 millionièmes de mètre (µm). L'ADN est enroulé sur lui-même puis « superenroulé[...]
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Écrit par
- Pierre-Antoine DEFOSSEZ : directeur de recherche au CNRS
- Olivier KIRSH : maître de conférences, université de Paris-VII-Denis-Diderot
- Ikrame NACIRI : doctorante
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