ÉPIGÉNÉTIQUE ET THÉORIE DE L'ÉVOLUTION
Hérédité épigénétique et théorie synthétique de l’évolution
On vient de voir que, pour des raisons épistémologiques et théoriques, l’épigénétique moderne ne conduit pas au lamarckisme. L’hérédité épigénétique est-elle pour autant sans incidence sur la théorie synthétique ? Cette question est, cette fois-ci, largement ouverte et extrêmement débattue.
Il y a au moins deux manières complémentaires de l’aborder. La première consiste à se placer sur le terrain empirique : l’ hérédité épigénétique transgénérationnelle est-elle fréquente dans la nature ? Cette question est très difficile, d’abord parce que les données fiables sont encore très peu nombreuses. De plus, il n’y a pas pour le moment de consensus sur l’interprétation et donc la portée évolutive potentielle des résultats obtenus. Par ailleurs, cette forme d’hérédité repose sur des mécanismes très divers et dont les conséquences sont variables en fonction des organismes considérés. En effet, de manière générale, plus la lignée germinale – la population de cellules à l’origine des cellules reproductrices – est isolée au sein du soma (le « corps » de l’individu pluricellulaire, dont la durée de vie est limitée) et moins les modifications épigénétiques sont susceptibles de l’atteindre et donc d’être transmises. L’isolement entre les cellules germinales et les cellules somatiques rend complexe la possibilité d’une rétroaction du soma sur le germen. Par exemple, chez les mammifères, ce mode d’hérédité est certainement presque négligeable alors que chez les végétaux, chez qui il n’y a pas vraiment de distinction entre germen et soma, il est probable que l’hérédité épigénétique soit plus fréquente.
Ce débat possède aussi un versant théorique : pour que l’on puisse juger de l’impact de l’hérédité épigénétique sur la théorie synthétique, il faut que cette dernière soit précisément caractérisée. Or, très souvent, cette théorie est aujourd’hui réduite à un petit nombre de principes inarticulés entre eux, tels que : l’hérédité biologique a comme support la molécule d’ADN ; la mutation génétique est fortuite du point de vue de ses effets ; la sélection naturelle trie les individus en fonction des mutations qu’ils portent ; la sélection naturelle est la principale force évolutive, etc. Depuis les années 1960, la théorie synthétique s’est ainsi appauvrie dans une forme dogmatique ouvertement caricaturale, situation dont tirent profit les partisans de sa réforme. Un travail de reconsidération de ce qu’est la théorie synthétique est donc désormais nécessaire afin d’envisager plus rigoureusement la question de l’« extension » ou de l’« expansion » éventuelle de cette théorie.
Au milieu de ces débats, un point semble faire néanmoins consensus : le fait qu’il faille aujourd’hui faire une place au processus d’« assimilation génétique » au sein de la théorie de l’évolution. En effet, la probabilité qu’il existe, chez un certain nombre d’organismes, une hérédité épigénétique durant au moins quelques générations rend possible dans des conditions naturelles la fixation (l’« assimilation ») de ces variations au sein du génome selon le modèle postulé par Waddington dans les années 1940. Celui-ci avait été envisagé initialement comme une spéculation théorique, et donc largement délaissé car on pensait qu’il était quasiment impossible qu’il puisse se produire dans la nature. Il repose sur l’idée qu’un phénotype correspondant initialement à une réponse physiologique face à une variation du milieu puisse finir par être produit de manière automatique et génétique au cours du développement s’il est sélectionné positivement durant un nombre suffisamment grand de générations. Cette durée permet en effet l’apparition des mutations génétiques[...]
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Écrit par
- Laurent LOISON : docteur en épistémologie et histoire des sciences, chargé de recherche au CNRS, professeur agrégé de sciences de la vie et de la Terre
- Francesca MERLIN : chargée de recherche au CNRS, Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques
Classification
Médias