ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES SOCIALES (dir. J.-M. Berthelot) Fiche de lecture
Voici un livre collectif (Presses universitaires de France, 2001) dont la hauteur des vues développées, la qualité de l'information et l'organisation de l'argumentation peuvent intéresser un vaste public. S'il faut souligner l'opportunité de sa parution, c'est en raison du moment crucial traversé par les sciences sociales qui s'interrogent sur la validité de leurs procédures et la légitimité des méthodologies mises en œuvre pour produire des énoncés pertinents.
Le problème nodal abordé par les différents auteurs consiste à se demander s'il est légitime de poser ou de viser un espace épistémique commun à toutes les sciences sociales. À quel titre la sociologie, la démographie, la géographie, l'histoire, l'économie, les sciences du langage sont-elles fondées à traiter du social et de l'humain ? Pour répondre à cette interrogation, J. M. Berthelot commence méthodiquement par affirmer la valeur d'un objectif « analytique et descriptif : comment, au sein des disciplines retenues, s'opère la production de connaissance » ? Puis, d'un second questionnement « critique et normatif : quelle valeur peut-on accorder à la connaissance ainsi produite » ? Telle est la problématique ici examinée. La première partie de l'ouvrage traite des grands territoires et de leurs paradigmes respectifs : les sciences historiques (Jacques Revel), la géographie (Jean-François Staszak), la science économique (Bernard Walliser), les sciences du langage et de la communication (Daniel Bougnoux), les sciences du social (Jean-Michel Berthelot). La seconde partie aborde les liens épistémologiques qui réunissent les différentes disciplines : le modèle et le récit (Jean-Claude Gardin), l'histoire et la structure (Robert Franck), l'action et la cognition (Pierre Livet), l’holisme et l'individualisme (Bernard Valade). Enfin, une troisième et dernière partie est centrée sur la quête d'une unité possible et souhaitable de cette pluralité disciplinaire et épistémologique. Unité réductrice à un seul programme ? À partir de quels présupposés ontologiques ? Jean-Michel Berthelot y traite des programmes, paradigmes et disciplines et Ruwen Ogien de la philosophie des sciences sociales.
Pour qu'il puisse y avoir un modèle de scientificité commun, il est impératif, à tout le moins, que toutes ces disciplines partagent la pratique d'une même rationalité expérimentale propre à construire objectivement des faits, à mesurer des quantités, à contrôler des hypothèses par des procédures protocolaires, enfin, à formuler des lois. C'est à ces strictes conditions que ce que Jean-Michel Berthelot appelle la « scène épistémologique » sera dressée conformément à deux principes respectant à la fois la spécificité de chaque discipline, mais aussi l'opération de réduction nécessaire à leur scientificité : un principe sémantique fixant les cadres conceptuels de pertinence, et un principe syntaxique établissant les cadres opératoires d'analyse. Autrement dit, « à quelles conditions, selon quelles modalités, dans quelle mesure les connaissances produites peuvent-elles avoir valeur scientifique ? ».
Le second apport de cet ouvrage est d'ordre pédagogique. Les auteurs s'emploient, chacun en regard de sa matière, et certains les croisant toutes, à conduire une investigation, historique et méthodologique, concernant le statut scientifique des sciences sociales. Conformément à une perspective qui, pour classique qu'elle soit, n'en perd pas pour autant son aspect rigoureux, les deux grands programmes de recherche qui se sont combattus tout au long du xxe siècle sont examinés : les différentes versions du positivisme d'une part et les théories du sens et de la construction de l'objet de recherche d'autre part. En dépit[...]
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Écrit par
- Francis AFFERGAN : professeur d'ethnologie à l'université de Paris-V-René-Descartes-Sorbonne
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