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ÉPISTÉMOLOGIE

Histoire et structure de la science

La science, les sciences ont une histoire ; et même force nous est de reconnaître que, lorsque nous parlons d'elles, nous ne visons jamais que ce qu'elles étaient hier, ou avant-hier. À le bien prendre, un état proprement actuel de la science est impossible à définir. Mais rétrospectivement il est permis sans doute de décrire des figures successives de la science. Quelle est la nature de ces états dont on croit pouvoir fixer le contour, quel est le sens de leur succession, quel espoir leur disparité nous laisse-t-elle de quelque connaissance objective assurée ?

Qu'est-ce qu'un « état de la science » à un moment donné ?

Il semble tout d'abord qu'un état de la science consiste en la somme, à une époque donnée, de certains savoirs. Cette notion purement additive ne peut guère satisfaire l'observateur de la science aux époques modernes. Elle pouvait être retenue sans doute pour les époques plus anciennes de l'histoire de la connaissance. Et n'est-ce pas précisément le Moyen Âge qui, en Europe, a inventé les Sommes, recensement de tout ce que l'on savait ou croyait savoir ? Mais la possibilité de décrire ainsi un état de connaissance ne suscite-t-elle pas quelque doute sur son caractère proprement scientifique ? Les états de la connaissance qui peuvent être convenablement décrits par un tel inventaire sont précisément antérieurs à l'avènement d'un mode de savoir spécifique, qui est manifestement distinct de tous les autres et auquel l'épistémologie veut réserver le nom de science. Nul ne pourrait songer aujourd'hui à définir l'état de la physique, par exemple, en recensant les propriétés mécaniques, électromagnétiques, thermodynamiques, nucléaires connues des physiciens contemporains, même réduites à leurs éléments principaux. La raison n'en est pas seulement dans l'énormité, mais aussi dans l'arbitraire de cet inventaire, qui aurait à cet égard le mérite de faire apparaître en contrepartie l'immensité des faits « physiques » sur lesquels le physicien n'a rien à dire, ou dont il ne peut expliquer le détail. Quoi qu'il en soit, on le voit bien, ce n'est pas un tel inventaire qui constitue un état de la science. En donner une détermination plus satisfaisante, telle est l'une des questions apparemment préalables, mais tout à fait fondamentales, qui sont posées à l'épistémologue.

Il semble qu'on puisse reconnaître deux grandes orientations de cette définition d'un cadre pour la description d'un état de la science. L'une d'elles insiste sur l'importance d'idées très générales, de nature métaphysique, c'est-à-dire inaccessibles comme telles à l'expérience, qui serviraient de trame à l'organisation de la pensée scientifique à une époque donnée, et lui donneraient une certaine unité. Michel Foucault à Paris, G. Holton à Harvard en sont les représentants les plus en vue, quoi qu'en des sens bien différents. La notion d'épistémé, pour le premier, est une sorte de soubassement « archéologique » du savoir scientifique d'une époque. Elle consisterait en un parti pris très général relativement à la question : qu'est-ce que connaître ? Une telle unification de l'esprit du temps, dont l'inspiration rappelle la conception hégélienne des figures de la conscience dans la Phénoménologie de l'esprit, ne peut manquer de séduire au premier abord. Cependant, le caractère de généralité excessive des traits qui fonderaient une épistémé, en rendant trop facilement praticable à une pensée agile et habile à choisir ses exemples une interprétation apparemment cohérente de l'état de la science, risque fort de n'en saisir que des aspects extérieurs. D'autre part, dès qu'un examen détaillé des faits[...]

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