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ÉPOPÉE, notion d'

Redécouverte de l'épopée

Voltaire de son côté n'a connu qu'un succès éphémère avec La Henriade (1725). Mais son Essai sur la poésie épique, publié d'abord en anglais en 1727, marque un infléchissement décisif, par la pluralité des modèles qu'il invoque : les grands poètes des « nations européennes », depuis les Anciens jusqu'au Tasse, à Camões ou à Milton. Alors qu'en France le débat sur l'épopée avait été lié à d'âpres polémiques sur les traductions en vers des poèmes homériques, en Angleterre l'intérêt pour Homère se fait plus philologique, moins doctrinaire : on le découvre poète d'un âge primitif, en qui louer l'énergie d'une littérature naissante, orale, peu soucieuse de codes. Cette figure plus ou moins légendaire de l'aède inspiré est formidablement actualisée au travers des Fragments de poésie ancienne (1760) suivis de Fingal, un poème épique ancien (1762), que l'Écossais James Macpherson publie en les attribuant à Ossian, barde celte des débuts de l'ère chrétienne. Dès 1763, la Dissertation critique de Hugh Blair place ces poèmes à hauteur de L'Iliade. Leur renommée est considérable en Europe. Commence alors un nouvel âge de l'épopée : non plus l'œuvre d'un individu (ce qu'est par excellence la poésie lyrique) mais l'émanation d'une nation, d'un peuple, qui s'exprime au travers du destin d'un héros fondateur, un guerrier.

Cette conception, philosophiquement étayée par Hegel dans ses Leçons d'esthétique des années 1820, a fécondé l'intérêt des romantiques pour le folklore. Elle se prolonge avec la collecte par les anthropologues de traditions orales sur tous les continents, l'enquête comparatiste d'un Georges Dumézil (Mythe et épopée, 1968-1973), l'étude de littératures (traditions écrites) antérieures à l'héritage gréco-latin, ou qui lui sont étrangères : épopée de Gilgamesh (Mésopotamie), sagas islandaises, Kalevala de Finlande, Mahābhārata et Rāmāyana en Inde, œuvres épiques chinoises ou islamiques, etc.

En France elle a permis la redécouverte d'un style proprement médiéval d'épopée : la chanson de geste (res gestae), dont le chef-d'œuvre est La Chanson de Roland (vers 1100). Cette tradition s'est prolongée jusqu'à la première Renaissance, avec le Roland furieux de l'Arioste (1516-1532). Elle ouvre aussi une autre voie : celle du romanzo, qui mêle à la guerre l'amour et le romanesque. Genre impur, populaire, que celui du « roman héroïque » (L'Astrée d'Honoré d'Urfé, 1607-1628) et plus encore celui des romans de chevalerie – dont le « beau ténébreux » Amadis de Gaule (la version la plus connue est celle de l'Espagnol Montalvo, 1508) rendu inoubliable par l'avatar parodique du Don Quichotte (1605-1614) de Miguel de Cervantès, où naît le « réalisme » moderne. C'est que le roman, défini par Hegel comme une « épopée bourgeoise », a détrôné l'épopée comme grand genre narratif ; du point de vue de la théorie littéraire, l'inflexion était nette dès l'époque de Voltaire, avec l'énorme succès rencontré par Les Aventures de Télémaque, de Fénelon (1re éd., 1699) : une « suite de l'Odyssée » présentée comme « poème épique » par son éditeur Ramsay en 1717, pour en asseoir la respectabilité ; mais c'est un poème en prose, lu d'emblée comme un roman.

— François TRÉMOLIÈRES

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