ÉPOPÉE
Le monde finno-ougrien
L'inventaire des genres épiques dispersés dans l'immense diaspora finno-ougrienne – essentiellement localisée, à l'exception du hongrois, dans des contrées nordiques qui vont de la Norvège à la Sibérie occidentale – fait appel à quelques notions clés : parenté étroite entre prose et poésie épiques, absence de démarcation entre poésies épique et lyrique dans la tradition orale. Si l'existence d'une épopée naïve des Hongrois détruite par le christianisme médiéval n'a pu être prouvée, des éléments de tradition épique se retrouvent chez les Mordves, les Tchérémisses et les Zyriènes (ballade historique), chez les Lapons/Sames (cycles héroïco-historiques des Skolts). La grande poésie épique est représentée surtout chez les Ob-Ougriens (chants dits « du destin » des Ostiaks et des Vogouls) et, en Europe du Nord, chez les populations balto- finnoises ou fenniques – en particulier dans les épopées finno-carélienne et estonienne connues, dans leur version compilée et éditée au xixe siècle, sous les noms respectifs de Kalevala (« Le Pays de Kaleva ») et de Kalevipoeg (« Le Fils de Kalev »).
Le chant kalévaléen
Appelée en Finlanderuno (de runa, rune, inscription magique en scandinave), la poésie traditionnelle chantée se caractérise par une métrique propice à l'allitération, qui, remontant à l'époque du « fennique commun », aurait subi l'influence des traditions baltes. Le mètre dit kalévaléen, commun à l'ensemble des populations fenniques, est un trochée à quatre pieds dont chaque vers comprend huit syllabes ; il a recours, comme les autres poésies traditionnelles nord-eurasiennes, à différents procédés de cohésion iconique : allitération, assonance et parallélisme. À la différence des chants populaires dits nouveaux, le chant kalévaléen ne connaît ni la rime ni le découpage en strophes. Sa mélodie de base est à cinq temps, portant sur un ou deux vers, et se répète à l'infini au gré du barde : il s'en dégage une certaine impression de monotonie.
Dans la société des Anciens finnois, la poésie traditionnelle remplissait une fonction essentielle : présente dans la vie quotidienne (berceuse, chant du berger...) comme dans les grandes manifestations collectives (fenaison, jeux, danses, etc.), la poésie chantée exerçait aussi une fonction rituelle, au cours du festin chamanique de l'ours et lors des cérémonies nuptiales.
D'un point de vue structurel, la poésie kalévaléenne se subdivise en quatre sous-groupes principaux : la poésie épique, la poésie lyrique, les incantations et la poésie cérémonielle. La performance s'effectuait en solo, en duo ou en chœur selon les circonstances. Seules la Carélie orientale et l'Ingrie ont connu une véritable tradition chorale, avec soliste et chant à répons. Il y avait peu de différences, quant à la performance, entre poésie épique et lyrique. Une autre classification répartit en classes la poésie kalévaléenne : mythique, magique et chamanique, fantastique, historique et guerrière, etc.
La poésie mythique peut, sur la base de critères linguistiques, être rapportée à l'époque dite préfennique (env. 1000-500 avant J.-C.). Dans les mythes caréliens de la création, deux héros, Väinämöinen et Ilmarinen, symbolisent le duel ancestral de l'épopée animale (aigle-ciel/poisson-eau), tandis qu'un troisième représente la gent oiseau (Joukahainen, de joutsen, cygne). « Väinämöinen jouant du kantele » est l'un des poèmes angulaires de l'épopée : un trait archaïque, la naissance de l'instrument, est modernisé par l'adjonction ultérieure du motif d'Orphée, connu des ballades scandinaves comme des boulin russes. Le poème est formé de deux autres poèmes originellement distincts (« La Fabrication de la barque », thème[...]
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Écrit par
- Emmanuèle BAUMGARTNER : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Maria COUROUCLI : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Jocelyne FERNANDEZ : docteur d'État (linguistique générale), directeur de recherche au C.N.R.S.
- Pierre-Sylvain FILLIOZAT : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
- Altan GOKALP : chargé de recherche de première classe au C.N.R.S., responsable de l'équipe cultures populaires, Islam périphérique, migrations au laboratoire d'ethnologie de l'université de Paris-X-Nanterre, expert consultant auprès de la C.E.E. D.G.V.-Bruxelles
- Roberte Nicole HAMAYON : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Ve section (sciences religieuses)
- François MACÉ : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Nicole REVEL : docteur ès lettres et sciences humaines, directeur de recherche au C.N.R.S
- Christiane SEYDOU : directeur de recherche au C.N.R.S.
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