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ÉPOPÉE

L'Asie du Sud

L'idée de tradition épique en Inde

Les plus anciens monuments littéraires indiens qui nous sont parvenus sont les Veda, recueils d'hymnes et textes religieux qui ne sont pas dénués de matière épique. Il faut attendre les environs de l'ère chrétienne pour avoir de véritables récits suivis et pouvant recevoir la dénomination d'épopée : le Mahābhārata et le Rāmāyaṇa sanskrits, le Cilappatikāram tamoul, etc. La conscience de la narration épique comme genre littéraire remonte plus haut. Une Upaniṣad ancienne comme la Chāndogya dans une énumération des branches du savoir mentionne après les quatre Veda « en cinquième, itihāsa et purāṇa ». Le terme « itihāsa » (« information par ouï-dire ») exprime le caractère traditionnel du récit. Il est appliqué notamment au Mahābhārata et au Rāmāyaṇa. « Puraṇa » est un adjectif dont le sens premier est « ancien ». Substantivé, il réfère, comme « itihāsa », au récit d'un passé immémorial, avec des caractéristiques de composition plus définies.

Le premier caractère commun de ces deux genres est l'occultation des auteurs historiques réels des textes qui se donnent comme une matière épique sans âge, où la transmission par voie orale est elle-même intégrée dans un cycle mythique. C'est ainsi que Vyāsa, un des protagonistes de l'histoire du Mahābhārata, est donné comme le narrateur originel du texte. La plupart des purāṇa sont donnés comme récités originellement par un barde mythique du nom de Sūta Lomaharṣaṇa à des ermites. Le prophète ou premier récitateur (pravaktṛ) garde une dimension mythique. Et la longueur de la chaîne de transmission jusqu'aux hommes ordinaires est donnée comme la plus longue qui soit. D'autre part, le premier récitateur, même s'il appartient au monde des sages surhumains, ne fait que reproduire tel quel le récit d'un être d'ordre surnaturel d'un plan encore plus élevé que le sien, le monde des dieux ou l'être suprême.

Cette représentation mythique de l'idée de tradition n'exclut pas l'idée de l'intervention de rédacteurs humains, appartenant à une période historique plus ou moins proche. Mais celle-ci ne concerne que la forme du texte. Et, surtout, tout nom d'un tel rédacteur, toute information biographique sur lui sont totalement occultés. Dans la plupart des cas, on décèle des remaniements de diverses époques et en diverses régions de l'Inde. Un cas exceptionnel est celui du BhāgavataPurāṇa, qui se signale par la rigueur de sa composition et son unité de style, ce qui fait penser à un auteur unique qui aurait soigneusement caché tout de son existence. On a pu à partir de critères indirects faire l'hypothèse très valable que ce texte a été composé au xe siècle de notre ère dans l'extrême sud de l'Inde.

L'épopée « sans auteur » en sanskrit a exercé une très grande influence sur la culture de l'Inde à tous les niveaux sociaux, dans toutes les religions de l'Inde, y compris chez les Jaina et dans toutes les langues populaires. Dans le domaine littéraire, cette influence se traduit par une production très abondante de versions nouvelles dans les formes les plus diverses, les auteurs étant dès lors reconnus, Kamban pour le Rāmāyaṇa tamoul, Pampa pour un Mahābhārata kannaḍa, etc. Il y a enfin dans des langues régionales des œuvres indépendantes d'originaux sanskrits, glorifications de héros de ces provinces, telles les remarquables épopées de l'antiquité tamoule.

L'univers épique

Blustrade-naga, Preah Khan, Cambodge - crédits : Jacques SIERPINSKI/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Blustrade-naga, Preah Khan, Cambodge

Le contenu de cette tradition épique est un tissu de mythologie et d'histoire inscrites dans des conceptions définies des êtres, de l'espace et du temps. Les êtres qui animent les récits sont d'espèces très diverses. Les dieux sont les principaux protagonistes. Ils[...]

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Écrit par

  • : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
  • : chargé de recherche au C.N.R.S.
  • : docteur d'État (linguistique générale), directeur de recherche au C.N.R.S.
  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
  • : chargé de recherche de première classe au C.N.R.S., responsable de l'équipe cultures populaires, Islam périphérique, migrations au laboratoire d'ethnologie de l'université de Paris-X-Nanterre, expert consultant auprès de la C.E.E. D.G.V.-Bruxelles
  • : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Ve section (sciences religieuses)
  • : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
  • : docteur ès lettres et sciences humaines, directeur de recherche au C.N.R.S
  • : directeur de recherche au C.N.R.S.

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