ÉPOPÉE
L'Asie du Sud-Est
L'épopée en Chine n'a pas toujours été clairement perçue en tant que telle. De nos jours, les grands cycles narratifs se présentent d'abord sous la forme de « romans » écrits – » récit transmis » (zhuan), « histoire » (ji) ou « narration amplifiée » (yanyi) – de type chantefable. Les recherches historiques ainsi qu'ethnologiques ont permis de connaître les versions manuscrites et orales qui sont à la base des romans écrits du xive au xvie siècle, tels L'Histoire des Trois Royaumes, Le Voyage vers l'ouest ou Au bord de l'eau. En Inde et en Asie du Sud-Est, jusqu'au xxe siècle, les valeurs de l'oralité et celles de l'écriture ne s'excluent pas mutuellement mais au contraire s'entrelacent l'une à l'autre. Les épopées sont l'expression la plus émouvante des arts de la performance et de la composition. Musique, chant et poésie ont rayonné sur des modes infinis non seulement à partir des cultures de cour, mais encore des cultures paysannes, villageoises et de quartiers en milieu citadin : théâtres d'ombres, de marionnettes, de masques et d'acteurs ont chanté, mimé et dansé les épopées. Toutefois, c'est dans les cultures minoritaires des montagnards sédentaires ou nomades qu'on entend l'expression la plus dépouillée des arts de la performance, l'épopée orale chantée par un aède, seul, avec parfois un accompagnement vocal ou instrumental très simple.
Les influences chinoise et indienne
Plusieurs familles linguistiques s'imbriquent de la manière la plus complexe sur le continent. La péninsule est le lieu où les familles tibéto-birmane, karen, sino-tibétaine, miao-yao, thaï-kadaï, austro-asiatique et austronésienne se jouxtent dans l'espace et le temps, tandis que la situation est plus homogène dans les archipels, avec la famille austronésienne. Sur les populations animistes dites de substrat (mais qui ont elles-mêmes effectué des migrations antérieures, continentales et maritimes), depuis le début de notre ère, diverses civilisations ont déposé leurs sédiments : les épopées l'attestent. En fait, elles forment un ensemble de récits héroïques et poétiques qui sont le réceptacle d'une histoire orale ou semi-littéraire, selon les contextes culturels. La civilisation chinoise a étendu une emprise militaire et politico-administrative le long de la partie orientale de la péninsule jusqu'au ixe siècle, marquant la culture vietnamienne du sceau de la sinisation (écriture en idéogrammes, morale confucéenne), tandis que la civilisation indienne a déployé une influence culturelle, artistique et religieuse, marquant d'abord le Fou-nan, le Tchen-la (qui devait devenir le Kambujā, ou Cambodge) et le royaume Môn ou Pyū (le Siam), puis, vers le ive siècle, Sumatra, Java et les côtes de Kalimantan, du sceau de l'indianisation. Les épopées du Mahābhārata, du Rāmāyana et les syllabaires dérivés de l'écriture brahmi en témoignent. Selon la stèle de Veal Kantel au début du viie siècle, l'épopée fut donnée en intégrale à un sanctuaire du Kampuchéa. Au xe siècle, on connaît une version en kawi d'un des livres de cette épopée : Bishmaparvan. Il y a d'autres versions attestées au Siam et en vieux malais ainsi qu'en Birmanie et au Tibet. De nombreuses compositions littéraires et des épisodes entiers en sont dérivés.
Le Rāmayāna attribué aux Rṣi Vālmiki a été adapté et traduit en version javanaise dès le ixe siècle (temple de Prambanan). On a des versions khmère, thaïe, lao, kawi (javanais, balinais) et malaise de ce grand cycle épique. Par rapport au récit sanskrit, il est nécessaire de distinguer les adaptations poétiques tardives, souvent effectuées pour des rois poètes, des premières traductions effectuées dans les langues vernaculaires[...]
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Écrit par
- Emmanuèle BAUMGARTNER : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Maria COUROUCLI : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Jocelyne FERNANDEZ : docteur d'État (linguistique générale), directeur de recherche au C.N.R.S.
- Pierre-Sylvain FILLIOZAT : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
- Altan GOKALP : chargé de recherche de première classe au C.N.R.S., responsable de l'équipe cultures populaires, Islam périphérique, migrations au laboratoire d'ethnologie de l'université de Paris-X-Nanterre, expert consultant auprès de la C.E.E. D.G.V.-Bruxelles
- Roberte Nicole HAMAYON : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Ve section (sciences religieuses)
- François MACÉ : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Nicole REVEL : docteur ès lettres et sciences humaines, directeur de recherche au C.N.R.S
- Christiane SEYDOU : directeur de recherche au C.N.R.S.
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