ÉPOPÉE
Le Japon
L'épopée au Japon ne se situe pas au début de la littérature japonaise. Autre particularité, la trame n'en est pas constituée par une guerre contre un ennemi extérieur, mais par une guerre civile historiquement bien connue par d'autres sources.
Le « Heike monogatari »
Le japonais classique ne connaît pas de terme spécifique pour désigner un genre qu'il a pourtant cultivé. La langue moderne utilise le mot jojishi, vocable forgé pour traduire le terme occidental de poème épique. Les titres des ouvrages que les manuels de littérature classent comme « épopée », ou « récits de guerre », gunkimonogatari, renvoient à un genre beaucoup plus large, celui du récit, le monogatari. Ce terme englobe aussi bien un véritable roman comme le Genji monogatari que des recueils d'anecdotes pieuses. Les récits de guerre eux-mêmes, souvent trop rapidement assimilés à l'épopée, englobent en réalité des textes de natures très diverses, particulièrement dans leur rapport à l'oralité. En fait, il n'existe peut-être qu'une seule œuvre, le Heike monogatari (l'histoire de la maison des Taira) qui, par le sujet, la forme et l'ampleur, puisse être d'emblée qualifiée d'épique. D'un autre côté, les autres récits que l'on classe parfois dans cette catégorie sont presque tous liés à cette œuvre, qui narre le récit de la rivalité de deux clans, les Taira, ou Heike, et les Minamoto, ou Genji, pour le contrôle du pouvoir dans le Japon de la fin du xiie siècle. Mais la matière de ce texte dépasse de loin l'histoire d'une guerre civile. Le Heike monogatari met en scène une crise qui embrasa tout le Japon depuis les provinces du Nord-Est, qui semblent tout à coup émerger sur la scène nationale, jusqu'aux îles du Sud, derniers refuges des Heike. Elle est fondatrice d'un nouvel ordre, celui des guerriers. On y pleure la chute des orgueilleux Heike, mais aussi celle d'un monde qu'ils ont contribué à ruiner par leur démesure, celui de la Cour et de ses rites, qui paraissent par contre-coup coupés de la vie réelle et appartenir au passé. Si elle ne fonde certes pas la culture japonaise, l'épopée inaugure une nouvelle phase qui n'est plus centrée sur la capitale, mais sur l'ensemble du pays, et qui voit les guerriers occuper la première place dans la société.
La version classique en treize livres du Heike monogatari fut fixée à la fin du xiiie siècle à partir des récitations des moines aveugles au luth à quatre cordes (biwa böshi). Il est à peu près certain qu'il a existé antérieurement un texte écrit concis du même type que deux autres monogatari, le Högen et le Heiji, qui racontent la genèse de la rivalité des deux clans. Ce premier texte d'auteur inconnu a disparu. D'autres œuvres comme le Genpeiseisui-ki (chronique de la grandeur et de la chute des Minamoto et des Taira) donnent une version longue de la même matière, mais, cette fois, l'amplification n'est plus liée aux récitants, elle est le fait des seuls spécialistes de l'écrit. Le nouveau monde qui émerge avec l'épopée est chanté dans une langue rénovée, qui se crée autour du Heike monogatari. Fruit du brassage de populations, ce n'est plus la langue de la seule capitale, mais de l'ensemble du pays. Elle se révéla à son tour unificatrice du fait de l'énorme diffusion de cette œuvre, écoutée et lue dans tout le Japon. Si le texte est en prose, il n'en est pas moins souvent fortement rythmé par l'alternance de membres de phrase de cinq et de sept syllabes. Les récitants, moines aveugles, avaient pour fonction première de psalmodier des sutras ou des incantations pour célébrer les divinités ou prier pour le repos des défunts. Le bouddhisme imprègne cette œuvre. La récitation du Heike monogatari, le heikyoku,[...]
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Écrit par
- Emmanuèle BAUMGARTNER : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Maria COUROUCLI : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Jocelyne FERNANDEZ : docteur d'État (linguistique générale), directeur de recherche au C.N.R.S.
- Pierre-Sylvain FILLIOZAT : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
- Altan GOKALP : chargé de recherche de première classe au C.N.R.S., responsable de l'équipe cultures populaires, Islam périphérique, migrations au laboratoire d'ethnologie de l'université de Paris-X-Nanterre, expert consultant auprès de la C.E.E. D.G.V.-Bruxelles
- Roberte Nicole HAMAYON : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Ve section (sciences religieuses)
- François MACÉ : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Nicole REVEL : docteur ès lettres et sciences humaines, directeur de recherche au C.N.R.S
- Christiane SEYDOU : directeur de recherche au C.N.R.S.
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