ÉQUILIBRE
La notion d'équilibre a une puissance heuristique exceptionnelle. Il n'est pas de régions d'objectivité où elle ne se retrouve. Si elle joue un rôle fondamental dans l'ensemble des sciences de la nature, elle est aussi centrale dans les sciences sociales. Bien plus, il se peut qu'elle constitue l'objet propre, tant des savoirs portant sur les normes (depuis la gymnastique jusqu'à la médecine ou à la psychanalyse) que de ceux portant sur les valeurs (esthétique, éthique, religion, etc.). Il s'agit donc d'une notion à vocation transdisciplinaire. Elle semble subsumer sous un même idéal d'intelligibilité des recherches qui vont de l'étude des systèmes aux déterminismes les plus rigoureux — et, à la limite, des systèmes formels eux-mêmes — jusqu'aux approches des ensembles flous de préceptes des conduites humaines. Toutefois, une telle étendue de significations possibles ne va pas sans poser de nombreux problèmes, et on peut se demander quelle unité objective désigne une telle notion, si ce n'est une unité d'ordre purement métaphorique, à valeur de connaissance très pauvre. Pourtant, les systèmes physiques ou chimiques, les organisations biologiques ou sociales aussi bien que les structures symboliques et imaginaires peuvent être comprises effectivement comme autant de diverses modalités d'une condition générale d'équilibre, condition qui leur attribue, tout à la fois, les lois de leur stabilité comme les raisons de leurs devenirs.
C'est sur la base d'un tel constat que l'épistémologue Jean Piaget a fait l'hypothèse d'un processus général d'équilibration, qui correspondrait au principe d'organisation immanent en toute genèse de structures matérielles ou formelles. Cette hypothèse de Piaget a fait l'objet de très nombreuses critiques. Par exemple, sur le plan psychologique, il lui a été reproché de renforcer, par cette insistance sur les critères d'équilibre, l'aspect normatif de la psychologie cognitive (J. Nuttin, R. Zazzo...). Sur le plan épistémologique, nombreux sont ses détracteurs qui, précisément, dénoncent l'extrême généralité d'un tel point de vue, qui met trop facilement en correspondance des niveaux de réalité, au lieu d'en voir au contraire les spécificités irréductibles les unes aux autres (S. Toulmin, J. Fodor). Il n'en reste pas moins que cette hypothèse d'un processus général d'équilibration, qui sous-tend toute l'œuvre de Piaget, semble effectivement la plus plausible pour rendre compte de la complexification croissante des niveaux d'organisation où se déploient les objets, autant que des filiations par stades d'intégration des structures cognitives du sujet. Toutefois, l'hypothèse d'un processus universel d'équilibration présente des difficultés. En effet, n'ayant ni abordé la question d'une approche historique de la notion d'équilibre elle-même, ni étudié ses ancrages dans des champs tels que l'esthétique, l'éthique, le politique, le psychanalytique, etc., et encore moins approfondi le rôle symbolique de cette notion et son universalité dans d'autres cultures, Piaget ne s'est pas donné les armes philosophiques nécessaires pour répondre à ses détracteurs. Il a reçu la notion d'équilibre comme telle, d'une façon non critique, et a construit à partir d'elle des modèles et des concepts importants. Mais il n'a pas approfondi la signification humaine que revêt cette notion, et qui est susceptible précisément de fonder son universalité comme de rendre compte de sa dimension interdisciplinaire.
Sans revenir sur les aspects cognitifs, catégoriaux et épistémique de la notion d'équilibre, il est possible d'ouvrir l'hypothèse, qui est d'ordre épistémologique, sur un questionnement[...]
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Écrit par
- Alain DELAUNAY : chercheur au Collège international de philosophie
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