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ÉQUITÉ

Tout droit comporte un ensemble de règles. Il est même constitué par elles ; sans elles, il n'aurait pas de corps. Historiquement, ces règles ont plus souvent été appelées par la volonté populaire comme garantie contre l'arbitraire du pouvoir et des juges qu'elles n'ont été imposées par l'autorité publique. Les règles juridiques sont une garantie essentielle de la justice, comme elles le sont de la liberté. Pourtant, dans certains cas, le sentiment se révolte devant l'application stricte du droit. Paradoxalement, le droit lui donne une impression d'injustice : summum jus, summa injuria. La règle juridique ancienne, ou trop générale pour ne pas être impersonnelle, néglige les aspirations contemporaines ou la situation des hommes auxquels on l'appliquerait. Certains font alors appel à un droit naturel supérieur aux droits positifs et dont ces derniers ne seraient que de maladroites mises en œuvre. Mais d'autres font aussi appel à l'équité, concept mystérieux et vague, fortement ressenti pourtant, qui dépasse dans les aspirations qu'il suscite ce que son étymologie évoque : le traitement égal des hommes ; la conscience publique le place alors plus près de la « vraie justice » que le droit lui-même.

L'équité met en lumière l'inévitable imperfection du droit ; elle peut être invoquée dans diverses circonstances : elle sert à compléter, corriger ou humaniser les règles du droit.

L'équité complète le droit

Historiquement, l'équité a souvent complété les règles du droit. À Rome, le préteur a peu à peu élaboré sur le fondement de l'équité toute une série de règles – le droit prétorien – pour compléter le droit strict. En Angleterre, le chancelier agit de même à l'égard de la common law. Mais les raisons de son intervention furent si nettes que le système juridique élaboré par lui reçut le nom d' equity, obligeant le langage à évoluer : on parle aujourd'hui de natural justice (expression révélatrice) pour évoquer l'équité.

Dans sa fonction complémentaire, l'équité ne semble pas avoir place dans les droits modernes. N'est-ce pas au législateur d'édicter les règles qui s'imposent ? Pourtant, il arrive que le législateur renvoie à l'équité. On trouve des exemples du procédé dans le Code civil français, de manière de plus en plus fréquente (art. 278, 280-1, 565, 1135 et, plus implicitement, art. 641, al. 6, 645, 1152, al. 2, 1244, al. 2, 1374, 1966), ainsi que dans les lois contemporaines de presque tous les pays étrangers. Un cas typique est celui du dommage causé par un aliéné : les droits allemand, autrichien, suisse, belge, italien, grec, hongrois laissent au juge le soin d'apprécier si une indemnité, et laquelle, est équitable. Quand le législateur ne cherche pas à faire place à l'équité, il ne peut empêcher le juge de recourir à celle-ci, le cas échéant, pour combler une lacune du droit. N'est-ce pas encore aujourd'hui l'équité, autant que la logique des principes anciens, qui inspire le juge de common law lorsqu'il se trouve devant un cas nouveau ? N'est-ce pas elle qui a guidé le Conseil d'État français posant peu à peu les règles du droit administratif ? Ou même la Cour de cassation française admettant en 1892 une action fondée sur « le principe d'équité qui défend de s'enrichir aux dépens d'autrui », bien qu'elle n'ait été « réglementée par aucun texte de nos lois », puis posant les règles de la responsabilité du fait des choses inanimées pour venir en aide aux victimes d'accidents du travail, puis de la circulation ? Dans tous les droits, on trouve l'exemple d'initiatives comparables. L'un des rédacteurs les plus éminents du Code civil français, J. E. Portalis, n'hésitait pas à écrire : « Quand la [...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I

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