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ÉQUITÉ

L'équité humanise le droit

L'équité requiert aussi une application humaine des règles juridiques, si incontestables soient-elles dans leur fondement. Elle est, dit-on en invoquant Aristote, la justice tempérée par l'amour. Elle a pitié « du faible, de la veuve, du pauvre ». Elle accorde des délais au débiteur de bonne foi. La justice institutionnalisée est représentée avec un bandeau sur les yeux : elle ne doit pas voir les justiciables. Elle est mécanique, comme en témoigne la balance qu'elle tient entre les mains. L'équité, au contraire, considère les personnes auxquelles s'applique la règle de droit et évalue quelles conséquences résulteraient pour elles de l'application stricte de la règle. La bienveillance et l'indulgence (parfois à l'égard de qui les mérite, mais parfois aussi simplement à l'égard de qui en a besoin) sont des caractères traditionnels de l'équité. Et là encore la tradition est loin d'être effacée. Le Code civil français de 1804 permettait au juge, « en considération de la position du débiteur et usant de ce pouvoir avec une grande réserve », d'accorder « des délais modérés pour le payement » (art. 1244, al. 2). Le législateur de 1936 est allé plus loin : « Les juges peuvent néanmoins, en considération de la position du débiteur et compte tenu de la situation économique, accorder pour le payement des délais qui emprunteront leur mesure aux circonstances, sans toutefois dépasser un an... » Plus révélatrice encore est la fortune d'une disposition du Code fédéral suisse des obligations de 1912 : l'article 442 permet au juge, lorsqu'une personne a causé involontairement un dommage, de réduire équitablement l'indemnité qu'elle devrait verser lorsque la réparation intégrale du dommage l'exposerait à la gêne. Cette disposition, qui fait revivre une vieille tradition abandonnée par respect de la logique juridique, a maintenant gagné un certain nombre de législations étrangères. Quand le législateur n'autorise pas ainsi le juge à prendre en considération les situations individuelles, comment celui-ci ne le ferait-il pas de lui-même quand il le peut ? Un juge français, le président Magnaud, s'est rendu célèbre en refusant, en 1898, de condamner pour vol une mère de famille qui, dans la misère et allaitant son enfant, avait dérobé un pain. Comment croire que de semblables décisions ne sont pas rendues tous les jours ?

Parce qu'elle complète et corrige le droit, la pratique équitable d'aujourd'hui est souvent la règle juridique de demain. L'histoire l'a montré. Dans tous les pays du monde, le piéton victime d'une voiture bénéficie de la plus grande bienveillance du juge. En France, la loi en fait finalement une victime privilégiée (loi du 5 juillet 1985, art. 3).

On ne peut qu'aimer l'équité. Elle est un appel aux sentiments les plus nobles de l'homme. Il faut pourtant, pour les raisons indiquées plus haut, être prudent avant de lui reconnaître préséance sur la règle de droit. Y avoir recours sans raison grave reviendrait à détruire le droit lui-même. Ce serait abandonner les citoyens à l'arbitraire du pouvoir ou de juges plus ou moins indépendants, plus ou moins bien inspirés. Il faut comprendre la plainte du peuple français sous l'Ancien Régime : « Dieu nous garde de l'équité des parlements ! »

— André TUNC

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  • : professeur émérite à l'université de Paris-I

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