Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ERASERHEAD, film de David Lynch

Un film labyrinthique

Il est difficile de résumer un film entrecroisant scènes rêvées et scènes « réelles », mais improbables, parce que semées de détails étranges : le monstre traité comme un bébé normal, des plantes qui poussent sur des tables de nuit, se mêlent avec des comportements et des dialogues quotidiens. On a voulu le rattacher au surréalisme de Buñuel et de son Chien andalou (1928), mais la suite de la carrière de Lynch, ainsi que la découverte ultérieure des courts-métrages qu'il a réalisés avant Eraserhead, a confirmé qu'il avait son monde à lui, que l'on trouve déjà ici : dédoublement de la figure féminine entre une blonde et une brune, référence à un « paradis céleste » à l'intensité lumineuse insupportable, changements constants d'échelle entre le microscopique (un vermisseau vagissant dans un rêve d'Henry) et le cosmique (l'histoire étant située sur une « planète » que l'on voit au début et à la fin du film). Ce qui différencie ce film, à la fois horrible et comique, du cinéma dit surréaliste est l'attention extrême portée à la durée, au temps, aussi bien dans la gestuelle des acteurs, leur façon de parler comme dans de la ouate, dans leurs postures (assis, ou debout attendant que démarre un ascenseur) que dans la conduite des scènes.

Pour autant, ce film n'a pas été réalisé par un inculte, mais par un ex-élève d'une école d'art, amoureux de films « européens » comme Persona (1966), d'Ingmar Bergman, ou La Strada (1954), de Federico Fellini – mais aussi de drames en noir et blanc comme Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard, 1950), de Billy Wilder, ou Lolita (1962), de Stanley Kubrick. Eraserhead est aussi proche de 2001 : l'Odyssée de l'espace (1968) de Kubrick par son caractère cosmique et énigmatique, la rareté des paroles, et le thème de l'immortalité (même apothéose, avec un bébé grand comme une planète).

Très présent, le son consiste souvent en un environnement de souffles insistants et denses, d'ambiances industrielles, ou de longues nappes électroniques, univers dans lequel flottent, minuscules, les voix des personnages ou les sons grêles d'un orgue de cinéma.

La photographie du film, dans laquelle des sources lumineuses très ponctuelles soulignent plutôt qu'elles ne l'éclairent l'obscurité environnante, annonce déjà les futurs films de Lynch et son goût pour la nuit. Eraserhead a demandé beaucoup d'effets spéciaux artisanaux (parmi lesquels des séquences animées image par image), effets dont l'auteur n'a jamais voulu révéler totalement le secret, protégeant ainsi son œuvre : la confection et l'animation de l'horrible bébé restent des mystères, et c'est très bien ainsi.

On retrouvera des influences « lynchiennes » dans beaucoup de courts-métrages français, et notamment dans la première réalisation commune de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, Le Bunker de la dernière rafale (1983).

— Michel CHION

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III

Classification

Autres références

  • LYNCH DAVID (1946- )

    • Écrit par
    • 1 998 mots
    Dès Eraserhead se dévoile une conception surprenante de la narration et une idée non moins insolite de ce qui peut faire naître la fiction (un radiateur devient un objet de fascination, et ouvre sur un monde parallèle où vit une femme au visage spongieux). Dans Eraserhead, un bébé monstrueux, dont...