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ÉRASME (1467 env.-1536)

« Gradus ad Parnassum »

Cambrai n'est pour l'ambitieux jeune homme que la première étape d'un tour d'Europe, mais surtout d'un pèlerinage aux sources de la civilisation et de la culture – de la double culture antique et chrétienne –, c'est-à-dire d'un pèlerinage à Rome. Rome, « préalable » indispensable à tout candidat à la maîtrise dans le domaine des litterae humaniores (ces lettres « qui vous rendent plus humain » et que l'on appellera plus tard les « humanités »), est un but dont l'obligation est moins évidente pour un chrétien soucieux de remonter aux sources de l'Évangile, car c'est le temps où règne (depuis le 11 août 1494) le pape Alexandre VI Borgia et où la cour du Vatican offre dans son ensemble un spectacle « mondain » dont les traits sont diamétralement opposés aux images et aux aspirations du traité Du mépris du monde.

Mais, de Cambrai à Rome, la route ne sera ni directe ni aisée. C'est d'abord à Paris que le moine humaniste sera confronté aux difficultés matérielles et psychologiques de l'existence. Il devient pensionnaire du collège Montaigu, sur la montagne Sainte-Geneviève, dirigé alors par Standonck, qui, natif de Malines, esprit réformateur, mais aussi ascète passionné, y fait régner un régime monastique beaucoup plus sévère que celui de Steyn. Le tempérament d'Érasme ne pouvait s'accommoder des conditions matérielles de ce collège des « poux », des « petites portions » et des « poissons pourris », qu'il stigmatisera plus tard dans son colloque Ichtyophagia entre un poissonnier et un boucher. Il n'en poursuit pas moins ses études, le but « officiel » de son séjour étant le doctorat en théologie. Déçu par l'enseignement scolastique de la Sorbonne, qui entrave son aspiration à redécouvrir les sources chrétiennes par un contact direct avec les Évangiles, il est contraint, pour vivre, de donner des leçons de grammaire et de littérature à des fils de famille – allemands ou britanniques – et à rédiger des manuels scolaires qui deviendront plus tard des « livres du maître » que certains pays ou certaines écoles – tels St. Paul's School ou Eton College – conserveront durant des siècles. Les nombreux manuscrits qu'il rédige dans les années 1495-1499 contiennent en germe toute une partie de son œuvre philologique, dont la publication s'échelonnera sur une trentaine d'années (avec les indispensables et très révélatrices mises à jour).

Si ses rencontres et les débuts de son amitié avec les hommes de lettres qui vivent à Paris – les Italiens Balbi et Andrelini, les Français Lefèvre d'Étaples et Robert Gaguin – ont joué un rôle important dans le développement de sa personnalité, c'est grâce à son élève, William Mountjoy, que sa fortune va véritablement prendre un tournant : en l'emmenant avec lui en Angleterre à la fin de 1499, le jeune et riche lord fera, certes, découvrir à Érasme des humanistes chrétiens, la haute société londonienne, l'université d'Oxford, même la cour royale, mais, surtout, il lui permettra de se découvrir à lui-même tel qu'il était, ou, mieux, tel qu'il voulait être. L'apprenti comprendra, auprès d'hommes qu'il estime au plus haut point, de maîtres revenus d'Italie, de prélats puissants politiquement et spirituellement, auprès du prince héritier lui-même, le futur Henri VIII, qu'il a déjà conquis ses premières lettres de noblesse : le moine désargenté, le bâtard mal aimé, l'humaniste dolent (comme l'appelle l'un de ses biographes modernes) se contemple dans le miroir anglais et en est transfiguré.

Lorsqu'il regagne Paris, sa double voie est tracée, dont il ne déviera pas : celle d'un lettré, qui publie bientôt à Paris chez J. Philippi la première[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours

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<it>Portrait d'Érasme</it> - crédits : Photos.com/ Jupiterimages

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