ÉRASME (1467 env.-1536)
Le « roi Érasme », citoyen de Bâle
Appelé à Bâle, où il arrive le 15 novembre 1521, pour la correction des épreuves de la troisième édition du Nouveau Testament, Érasme quitte les Pays-Bas pour n'y plus revenir. Malade depuis longtemps, il n'en fournit pas moins un travail écrasant, tout au long de l'année 1522, avec l'édition et le commentaire de presque tous les pères de l'Église, tandis que ses œuvres personnelles sont rééditées et traduites dans toute l'Europe et qu'un véritable réseau d'érasmisme se met en place, de Londres à Cracovie, d'Anvers à Alcalá de Henares, de Paris à Strasbourg, de Nuremberg à Naples, Bâle restant, grâce à sa présence et à celle de lettrés influents, tels ses amis Amerbach, le centre de ce réseau. La royauté intellectuelle et spirituelle d'Érasme est renforcée par les puissantes influences de l'Université, de l'imprimerie Froben, des autorités civiles et religieuses, des savants et des artistes. Parmi ces derniers, citons Hans Holbein le Jeune, dont l'un des premiers titres de gloire avait été d'illustrer un exemplaire de l'Éloge de la folie (édition Froben de 1515) et qui fera en 1523 l'un des plus célèbres portraits d'Érasme (actuellement au Kunstmuseum de Bâle, avec une copie au Louvre).
Érasme décline une nouvelle invitation de François Ier. Il vient d'ailleurs de dédier aux grands souverains d'Europe ses quatre Paraphrases sur l'Évangile (celle de Marc à François Ier, en 1523, et celles des trois autres Évangiles respectivement à Henri VIII, Ferdinand de Habsbourg et Charles Quint) : à chacun il recommande de pratiquer une politique de paix et de fraternité et d'observer les devoirs d'un prince chrétien. Mais, depuis janvier 1522, époque où Adrien d'Utrecht, son compatriote, est devenu pape sous le nom d'Adrien VI, Érasme est entré en lice contre Luther : Henri VIII, Tunstall, l'électeur Georges de Saxe l'y poussent aussi. C'est sous le pontificat de Clément VII, en septembre 1524, qu'il publie un De libero arbitrio, dans lequel il défend, d'un point de vue métaphysique, moral et théologique, la possibilité pour l'homme de collaborer avec Dieu à son propre salut sans qu'il y ait une opposition radicale entre les œuvres et la foi. Dans la riposte cinglante de son De Servo arbitrio (1525), Luther accuse Érasme de scepticisme, de laxisme et d'impiété, opposant aux thèses de l'humaniste celle de la passivité totale de l'homme entre les mains de Dieu, dispensateur de la grâce, et aux œuvres l'austère rigueur du sola fide.
Désormais, la lutte se poursuivra sur tous les terrains, glissant des hauteurs théologiques à des règlements de compte personnels. Érasme lui-même, en dépit de son esprit évangélique, adoptera un ton de plus en plus dur. Derrière les deux champions s'opèrent des regroupements, surtout dans les pays germaniques ; les amis d'hier deviennent les ennemis d'aujourd'hui ; querelles et jalousies s'exacerbent, tandis que la situation politique de l'Europe, déjà troublée par les rivalités des princes chrétiens et la menace des Turcs, se complique en un imbroglio inextricable. Au Serf arbitre, Érasme répond en 1526 par l'Hyperaspistes. Cette année-là, les Turcs, vainqueurs à Mohács en Hongrie, où périt le jeune roi Louis, posent à toute l'Europe chrétienne un problème crucial qu'elle n'arrivera pas à résoudre : le pacifiste Érasme, consulté un peu plus tard par un juriste allemand, reconnaît qu'il peut y avoir, dans des cas extrêmes (ultima ratio), de justes guerres. Mais que l'Europe commence par s'unir, et que l'Église fasse tout pour retrouver son unité perdue !
La neutralité n'est plus possible. Érasme aurait bien voulu[...]
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Écrit par
- Jean-Claude MARGOLIN : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours
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